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Le roman volé de la France.

05 Juil

Il y a des écrivains qu’on lit, et d’autres qu’on exhibe. Des écrivains qui inventent des mondes, et ceux qui empruntent des vies. Kamel Daoud est de ceux qu’on exhibe : sur les plateaux, dans les salons, au sommet des bibliothèques républicaines. Il est devenu cette silhouette rassurante pour un pays inquiet, cet écrivain « d’origine » qui parle mieux qu’un indigène, qui critique mieux qu’un autochtone, qui agite le drapeau de la lucidité tout en faisant l’éloge discret de l’ordre établi.
Mais ce rôle a un prix : il faut plaire. Il faut s’arracher à son peuple pour mieux se lover dans l’ombre d’un autre. Il faut voler des voix, parfois, pour se construire une autorité. Et c’est ce que Kamel Daoud a fait avec Saada Arbane. Ce n’est pas un emprunt. C’est une dépossession. Il n’a pas écrit sur elle, il a parlé à sa place. Et cette substitution-là, si fréquente dans l’histoire coloniale, s’invite désormais dans les marges de la littérature.

La plume devient une mainmise. Le roman devient un viol feutré.

Ce vol-là ne se soigne pas avec un prix littéraire. Il n’appelle ni débat, ni nuance. Il ouvre une faille. Celle où la mémoire des autres devient la propriété d’un seul, légitimé par son style, validé par ses fréquentations, blanchi par la langue française elle-même. Dans cette histoire, ce n’est pas seulement une femme qu’on efface : c’est toute une tradition qu’on dévitalise. C’est la littérature francophone qu’on rend muette, anesthésiée par l’éclat d’une imposture.

Et puis il y a le reste. Il y a cette étrange habitude qu’a Daoud de tirer sur les cibles qu’on lui désigne. Les musulmans ? Il les décrit comme des enfants. Les binationaux ? Comme des citoyens à moitié loyaux. Les femmes ? Comme des abstractions à corriger. Les Palestiniens ? Comme des fictions dérangeantes pour la conscience française. Et les Français « de souche » ? Comme les derniers bastions d’une civilisation en péril, qu’il faudrait peut-être sauver du reste du monde.

Ses mots ressemblent à des diagnostics, mais ils soignent peu. Ils servent surtout à justifier. À blanchir. À nettoyer les mains de ceux qui ne veulent pas se salir. Il est devenu une conscience tranquille de la République : un écrivain arabe qui critique les Arabes, un exilé qui condamne les exilés, un intellectuel qui parle à l’oreille du pouvoir en feignant de lui résister.

Mais que reste-t-il, une fois le théâtre refermé ? Une parole brûlée. Une œuvre trouée. Une littérature trahie par l’un de ses enfants. Kamel Daoud ne fait pas du bien à la France. Il fait du bien à une France qui a peur, qui se crispe, qui préfère le roman à la réalité.

Et cela, ce n’est pas écrire. C’est servir.

 
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Publié par le 5 juillet 2025 dans Litterrature

 

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