Il a perdu sa mère. Il l’a annoncé en quelques lignes, sur Twitter, avec la sécheresse d’un constat administratif. Une douleur tue, ou trop vite traversée. Pas un mot pour elle. Mais des mots pour lui, pour le pays, pour le president Algerien, pour l’éternel procès d’intention qu’il aime mener, même dans l’ombre du deuil. L’émotion ? Absente et substituée par une mise en scène.
À croire que la disparition de la mère ne vaut, chez lui, que pour ce qu’elle permet de dire sur lui-même.
À l’opposé, il y a Kateb Yacine. Lui n’a jamais cessé de parler de sa mère. Elle était son socle, son institutrice et sa déchirure.
Kateb n’a pas cité sa maman par convenance, il l’a portée dans chaque vers. Internée, brisée, mais vivante à travers sa voix. Elle fut le canal par lequel il a accédé à la poésie arabe, à la langue interdite, à l’héritage refoulé. Ce lien, ni esthétisé ni glorifié mais bien vécu, hante toute son œuvre.
Nous comprenons pourquoi Kamel Daoud évite ce nom. Kateb est indigeste pour ceux qui veulent faire l’économie du colonialisme. Il est trop direct, trop radical, trop ancré. Il écrit contre l’oubli, contre la compromission. Rien à voir avec le clinquant moral des plateaux français ou la nostalgie d’une Algérie rêvée par ceux qui l’ont quittée.
Daoud ne cite pas Kateb, ni Mammeri, ni Feraoun, ni Assia Djebar. Ni même Djaout ou Boudjedra. Leur présence l’encombre. Trop d’histoire. Trop de chair. Il préfère Camus. Il s’y accroche comme à une bouée littéraire, réclamant une filiation que rien ne justifie : ni le style, ni l’univers, ni la trajectoire. Ce qui les rapproche ? Oran, peut-être. Mais Daoud n’en est pas originaire. Il y écrit comme on occupe un territoire symbolique. Une fiction spatiale pour consolider la fiction coloniale.
Le plus troublant, c’est que cette affiliation forcée plaît. Elle est rassurante. Elle raconte une Algérie digérable, qui peut être lue depuis Paris sans malaise. Une Algérie qui parle le langage des anciens maîtres, qui cite Camus au lieu de citer ses propres morts. Une Algérie neutralisée.
Or, l’autre Algérie existe.
Celle qui lit encore Kateb.
Celle qui se souvient que la mère est un lieu d’apprentissage et de révolte.
Celle qui sait que l’écriture ne consiste pas à chercher l’approbation, mais à nommer ce qui dérange.
La mère est partie. Le silence reste. Et ce qu’on fait de ce silence en dit souvent plus que mille hommages.
