« Fin novembre 93,les francophones des deux sexes et de diverses professions(journalistes,professeurs,syndicalistes,médecins…) fuirent en désordre leur pays pour la France,le Quebec,un peu comme les Morisques andalous et les juifs de Grenade,après 1492 et par vagues régulières,tout le siècle suivant,s’en étaient allés,un dernier regard tourné vers les rivages espagnoles,pour aboutir-grâce a la langue arabe d’alors -d’abord a Tetouan,a Fes,a Tlemcen et tout le long du rivage maghrébin. Ainsi comme l’arabe avait ensuite disparu dans l’espagne des Rois tres Catholiques- ceux-ci aidés vigoureusement par l’inquisition – est ce que soudain c’était la langue française qui allait disparaître « la-bas »? .
Extrait de « la disparition de la langue française »,Page 271 .
Assia Djebar
Assia Djebar nous aura tour a tour,égaré,secouer, tourner en rond,agacer, émerveiller,étonner jusqu’à nous pousser dans nos ultimes retranchements avant de nous libérer a la page 271 de son roman « la disparition de la langue française ».
Il a fallu retourner au point de départ et me tenir a l’aube de ma vie,en cette année 94, l’année des départs brusques voire brutaux,l’année des malentendus sanglants…Je m’appuie donc sur mes nouvelles rides et ces autres cheveux blancs pour atteindre ce port,jadis,terre d’asile.
Abu Dhabi prend 20 ans plus tard et avec les mots d’Assia ,toute sa valeur symbolique …une méditation salvatrice et presque inespérée.
« la disparition de la langue française » n’est pas un roman mais plutôt un discours inaugural, un ton confidentiel,une lumière latérale qui se faufile dans les allées d’ombres…les tableaux s’enchaînent avec une fluidité surprenante et l’auteur égrène avec grâce une énergie de couleur et de matière qui scrute,interroge avant de triompher du passé, avec panache .
Il a fallu toutes ces années pour pouvoir se libérer des lignes rédigées par des barbes traîtresses et ces autres larbins haineux car il faut longtemps se haïr pour préparer la banqueroute des siens…Il faut se haïr sans resserve pour entreprendre cette navigation pathétique et se débarrasser de ses enfants moyennant des alibis fallacieux .
Les extrémistes excellaient dans l’ordre du mal et cet autre du basculement irréversible.
En quelques 16 lignes et avec une élégance extrême ,Assia Djebar me réhabilite et avec moi tous les autres exilés.
« la disparition de la langue française » est un roman qui réinvente le désir de se réapproprier une histoire,un pays,une langue et.. la Vie.
Djebar dans « la disparition de la langue française » écrit sur le contemporain ,dénoue les méprises,ouvre les fenêtres et dépose délicatement ,des sourires sur nos âmes encore meurtries.
Nous sommes,avec Assia ,des journalistes,professeurs,syndicalistes,médecins qui n’ont pas,contrairement a ce qui s’est dit ,raté le chemin de l’héroïsme mais nous sommes,ceux qui ont refusé l’amour déformé.