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Archives Mensuelles: juillet 2025

Entre deux évidences.



Elle ne l’avait jamais remarqué. Il faut dire qu’il n’était pas son type d’homme. Peut-être même faisait-il partie de ceux qu’elle ne voit jamais. Un brin excentrique, parlant à voix haute, ce genre de voix qu’on force pour exister un peu plus dans l’espace. Elle n’aimait pas ça.

Il tendit la main en premier, sûr de lui, presque joyeux :
— Nous sommes collègues, on m’a parlé de vous… Je suis ravi de vous rencontrer.
Elle sourit poliment, retira sa main aussitôt. Aucun commentaire. Juste un sobre :
— Bonne journée.
Légèrement déconcerté, il enchaîna sur une blague avant de s’éloigner, seul avec son enthousiasme.

Ceci n’est pas un témoignage. C’est un récit bancal, sensible, celui d’une femme qui aurait misé sa vie sur le désordre d’une image floue, sur une hésitation à peine formulée, une intuition qui n’en était même pas une. Juste un vertige. Un trouble passager.

Car la certitude, selon elle, n’est qu’une lentille oblique. Elle donne l’illusion de voir net, mais elle déforme. Elle arrache au mouvement, elle cloue.
Et elle, elle voulait flotter encore un peu.
Rester dehors.
Au bord.
Entre deux évidences.
Dans ce battement fragile où chaque chose pourrait encore basculer.
Elle le recroisa un jeudi, tard dans l’après-midi.

C’était dans une librairie, celle avec les fauteuils en velours au fond, où l’on vient surtout pour respirer un peu mieux. Il était là, seul, assis dans l’un de ces fauteuils. Il lisait à voix basse. Pas fort, non, cette fois c’était presque un murmure. Un texte de Malek Haddad, si elle en croyait l’incipit. Elle s’attarda sans le vouloir, suspendue à cette voix qu’elle croyait ne pas aimer.

Elle voulut partir. Renaître dans le silence. Mais il leva les yeux et la vit.

Il sourit, cette fois sans s’imposer.
— Vous lisez Malek Haddad ?
Elle haussa les épaules :
— Par intermittence.
— C’est la seule manière, je crois.

Il ne chercha pas à remplir le vide. Il tourna les pages, comme si ce fragment d’échange suffisait.

Alors elle s’assit, à deux fauteuils de lui. Ne dit rien. N’ajouta rien.
Elle resta là, à écouter les pages tourner.

C’était ça, peut-être, le début d’autre chose. Pas un choc, pas une révélation. Une infime réouverture. Une brèche.
Elle pensa : il n’est toujours pas mon type.
Mais il existe.

Et parfois, c’est suffisant.

 
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Publié par le 29 juillet 2025 dans A pile et face

 

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Il disait,

Il disait :
« De tous les chemins de notre jeunesse, celui qui ne s’oublie pas est le petit chemin de la plage, celui qui, de nuit, nous menait à notre rendez-vous amoureux de l’été. »

Moi, je me suis tue.
Le chemin était là.
L’amour, lui, ne s’est jamais présenté.

Je me souviens du sable froid sous mes pieds, des étoiles timides et de ce vide au bout du sentier.
Seulement, la mémoire n’est pas la vraie vie.
C’est une transcription floue, un reflet tremblant.
Elle n’explique pas. Elle égare.

Les souvenirs ne tiennent pas la distance.
Ils flottent. Ils dérivent.
Et parfois, ils s’effacent tout simplement.

Aujourd’hui, les lacunes sont plus nettes, plus obstinées.
Peut-être parce qu’elle a passé tout l’après-midi à regarder ses émissions préférées en replay.
Philosophie, djihadisme, un débat sur la maison Gallimard,
et puis ce film d’un jeune réalisateur britannique dont le nom lui échappe,
et lui échappera encore, pendant plusieurs heures.

Elle sent déjà cette gêne familière au creux du front, cette oppression diffuse, comme un fil qui lâche.

Agacée, elle se lève.
Ouvre la porte du frigo avec l’élan précis de l’habitude.
Espère y trouver de l’eau fraîche.

Et…

Le frigo est vide.
Impeccablement, rageusement vide.

C’était donc ça.
Elle avait, magistralement, oublié de faire les courses de la semaine.

Un soupir. Une exaspération douce.
Elle allait s’en vouloir, vraiment,
puis elle entend :

— Ça va, maman ? Tu sembles soucieuse ?

La voix est douce.
Elle répare.

Elle se retourne, un peu confuse, un sourire au bord des lèvres.
Elle glisse doucement à l’oreille de sa fille :

— C’est la journée des courses… Tu m’y accompagnes, dis ?

Et tout s’allège un peu.
Pas de drame. Juste une faille douce dans le tissu du quotidien.
Un oubli, une main tendue, un frigo vide, un amour toujours en attente.

Mais ce soir, au moins, elles marcheront côte à côte.
Vers le marché.
Vers la suite.

Sa voix pensait à sa place.
C’était mieux avant — le goût pour la poésie, pour le panache, réinventait les lieux avec les notes en toile de fond.
C’était mieux avant, quand elle n’avait pas besoin de dire : je me souviens.

Auparavant.
Un mot assez curieux.
Qu’on pourrait confondre avec un sac à main féminin — un sac où se mêleraient les choses précieuses et les futilités.

Et pour une seconde, elle fut tentée d’aller voir dans tous les recoins ce qui s’y passe.
De vider les fonds de poche.
D’y trouver un ticket de bus ancien, une mèche de cheveux oubliée, une date inscrite sans sens.
Peut-être, qui sait, une invitation.
Une brèche dans le présent.

Glisser dans une certaine communauté
où l’incertitude débouche toujours sur quelque chose.
Un geste.
Un visage.
Un contretemps fécond.

Et justement, le contretemps s’installe.

La file de voitures serpente, lente, étirée sur au moins deux kilomètres.
Les écrans géants annoncent un ralentissement de 30 minutes, des numéros d’urgence à appeler,
la menace d’une amende de 250 dollars si la ceinture est lâche —
mais rien, jamais rien, sur les existences désordonnées qu’on tente de maintenir debout.

En citadins bien dressés, on patiente.
On serre les dents.
On scrolle sans conviction.
On répond à des mails qu’on ne lira plus.

Les sirènes crissent.
Un désastre ailleurs, une tension ici.

Et puis, dans le rétroviseur, un mouvement.
Les voitures basculent, reculent, cherchent la sortie.

Une faille.
Je la saisis.
Je la suis.

Et là — surprise.

Des jardins.
Impeccables. Presque irréels.
Des pelouses épaisses comme des promesses.
Des haies disciplinées.
Un air de campagne dans les plis discrets de Washington DC Ouest.

La ville s’efface un instant devant le jardin.

J’abandonne la route. Je stationne. J’avance à pied.
Le cœur allégé.
Cette déviation devient, contre toute attente,
l’incartade la plus brillante du mois.

https://videopress.com/v/7sCrmEec

 
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Publié par le 29 juillet 2025 dans A pile et face

 

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Maroc, Israël, France : désinformation sur commande, démocratie sous influence.

Parlons vrai pour une fois, ce n’est pas juste une histoire de trolls, de fake news ou d’algorithmes. C’est une guerre cognitive. Et dans ce champ de bataille numérique, le Maroc a pris l’ascendant, Israël est l’architecte, l’Algérie est la cible.

Et la France ? Spectatrice complaisante.

Le Maroc, un royaume obsédé par le contrôle du récit,

Depuis 2014, Rabat ne joue plus dans la cour du soft power à l’ancienne.

Il s’agit désormais de modeler les imaginaires, brouiller les récits, saturer l’espace d’une seule version : la sienne.

Le Sahara occidental, ligne rouge numérique,

Faux comptes Twitter, blogs fantômes, hashtags fabriqués.

Harcèlement de journalistes, ONG, militants.

Délégitimation algorithmique de tout discours alternatif.

Mais ce n’est que la surface. Car l’ennemi principal dans la stratégie Marocaine, c’est l’Algérie.

L’Algérie : cible prioritaire du dispositif Marocain,

La guerre froide entre Rabat et Alger a muté : elle est désormais numérique.

Le Maroc finance discrètement des opposants Algériens exilés. Il leur transmet des informations ciblées pour structurer un récit corrosif contre Alger.

Campagnes de dénigrement contre des figures politiques Algériennes.

Tentatives de sabotage de l’image de l’Algérie à l’international (notamment dans les débats sur le Sahel, la Palestine, ou les hydrocarbures).

Surveillance et harcèlement de la diaspora algérienne en France, a Londres et en Belgique.

Narratif construit : l’Algérie serait instable, autoritaire, dangereuse — et le Maroc, la vitrine moderne et “pro-occidentale” du Maghreb.

Nous sommes en presence d’une guerre asymétrique, externalisée et surtout, invisible pour le grand public.

Pegasus, Team Jorge : la guerre sous-traitée.

– 2021 : Pegasus

Scandale mondial. Espionnage de journalistes, militants, diplomates et meme des presidents d’etats dont le Français Macron.

Cibles algériennes nombreuses, notamment dans les milieux politiques et médiatiques.

Le client ? Le Maroc.

Le fournisseur ? NSO Group, Israël.

-2023 : Team Jorge

Une cellule Israélienne de désinformation à la carte, infiltrée par Forbidden Stories.

Le Maroc figure parmi les clients identifiés.

Et selon les documents, l’Algérie est la cible numéro 1.

Qui finance quoi ? La France regarde ailleurs.

Premier partenaire du Maroc ? La France.

Investissements, échanges sécuritaires, proximité diplomatique…

Paris ne dit rien. Même quand :

Des journalistes français sont espionnés via Pegasus.

Des campagnes de désinformation visent l’UE.

Des ingérences marocaines sont pointées du doigt au Parlement européen.

Pourquoi ce silence ?

Parce que le Maroc est un « allié stable ».

Parce que les intérêts économiques priment.

Parce que le récit anti-Algérien arrange certains cercles Français.

Une démocratie attaquée, en scrollant.

Ce que révèle cette stratégie d’influence :

Un État autoritaire,le Maroc, qui sous-traite sa guerre de l’information.

Une entreprise Israélienne (Team Jorge) qui vend la manipulation à l’international.

Des plateformes américaines (Facebook, X, LinkedIn…) qui hébergent les attaques.

Et des démocraties européennes qui laissent faire, sans contre-feu.

Pourquoi l’Algérie est-elle la cible parfaite ?

Rival historique et concurrent régional du Maroc.

Porteur d’un récit indépendantiste, panafricain.

Présente une image moins « lisse », donc plus facile à diaboliser dans l’opinion occidentale.

Mais pas que, l’Algerie compte une diaspora politisée, que le Maroc cherche à neutraliser ou discréditer.

Ce n’est pas un cas isolé. C’est un modèle.

Ce que fait Rabat, d’autres régimes l’imitent ou l’achètent.

Israël vend son savoir-faire comme un produit d’export.

Et les démocraties ? Elles scrollent. Elles tergiversent. Elles perdent du terrain.

These must d’os.

Il est temps de sortir du déni, ce n’est pas « du lobbying » ni « de la diplomatie numérique ».

C’est une stratégie de sabotage démocratique, menée par des alliés supposés, avec des outils de surveillance et de manipulation massifs.

Tant qu’on laissera des États amis hacker le débat public, nos sociétés resteront vulnérables aux récits préfabriqués, et nos institutions piégées dans l’impuissance.

Le monde n’est qu’ un marché de l’influence dans lequel les régimes achètent des récits, les vérités sont hackées et nos démocraties scrollent.
PS:

Supplement de lecture:

https://forbiddenstories.org/fr/team-jorge-desinformation/

 
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Publié par le 28 juillet 2025 dans Politique et Société

 

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Réseaux sociaux : la guerre des récits a commencé, et les démocraties sont en retard.

On a cru, naïvement, que les réseaux sociaux allaient ouvrir les sociétés.
Ils ont surtout ouvert un nouveau champ de bataille.

Aujourd’hui, chaque régime — autoritaire, populiste ou démocratique — a compris comment transformer les plateformes en armes de pouvoir. Le citoyen y poste des stories. Le pouvoir, lui, y mène une guerre permanente : narrative, algorithmique, émotionnelle.

Aux États-Unis, l’ère Trump a inauguré une nouvelle forme de gouvernance : l’influence comme mode d’action politique. Twitter, puis Truth Social, sont devenus le centre de gravité du discours public. La logique algorithmique — clash, confusion, captation de l’attention — a pris le pas sur le débat. Le résultat est connu : polarisation extrême, perte de réalité commune, effondrement du contrat démocratique.

En Russie, l’arme est différente, mais le but est le même : désorganiser l’espace mental. Pas besoin de convaincre. Il suffit d’épuiser : bots, désinformation, chaos informationnel. L’influence devient sabotage. À l’intérieur, le contrôle est total. À l’extérieur, le bruit devient stratégie.

En Chine, l’outil est technologique, froid, méthodique. Les réseaux sociaux ne sont ni libres, ni ouverts. Ils sont intégrés à l’architecture du pouvoir : surveillance, censure, formatage idéologique. L’opinion publique y est gérée comme une variable d’ingénierie sociale.

Et les démocraties, dans tout cela ?
Elles observent. Elles débattent. Elles légifèrent — lentement. Mais elles n’agissent pas à la hauteur du choc.

Le problème est structurel : les institutions ont été conçues pour un monde de délibération, pas de viralité. Elles avancent à la vitesse du droit, tandis que l’information avance à la vitesse du bug. Les plateformes sont plus puissantes que bien des États. Et les règles du débat public ne leur appartiennent plus.

Pire encore, les démocraties continuent de croire que la politique est affaire d’arguments. Alors que les réseaux imposent une autre grammaire : émotion, indignation, accélération. La peur et la colère y dominent. Et la vérité y meurt.

Ce qui se joue n’est pas une crise passagère.
C’est une transformation radicale du pouvoir.
Les régimes autoritaires contrôlent les récits.
Les populistes les saturent.
Et les démocraties les perdent.

La guerre des récits a commencé. Et il est temps, enfin, de la prendre au sérieux.

 
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Publié par le 26 juillet 2025 dans Politique et Société

 

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Le Pape a reçu Tebboune. Ce n’est pas une anecdote. C’est un symbole. Et c’est aussi une gifle.

« Pendant que le Pape salue Tebboune, un autre chef d’État — le roi du Maroc, Mohamed 6 — n’est pas reçu. Il faudra relire ce détail avec attention. Il dit ce que la diplomatie ne dit pas toujours. Il parle d’équilibres. De priorités. Et peut-être d’un retournement stratégique plus large. »

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Pas pour Tebboune, non. Pour ceux, en France, qui ont fait de l’Algérie leur punching-ball idéologique, leur obsession éditoriale, leur miroir déformant. Ceux qui la disent « fermée », « fanatique », « irrécupérable ». Ceux qui, depuis des années, préfèrent juger l’Algérie depuis Paris plutôt que la regarder vraiment.

Le président Algérien entre au Vatican, reçu par Léon XIV, Pape fils spirituel de Saint-Augustin. Celui-là même qui, dans sa première déclaration pontificale, a rappelé son attachement profond à l’Algérie, à Annaba, à Souk Ahras. Le cœur du christianisme Africain. Là où certains ne voient que du sable et des silences, lui voit une mémoire. Un berceau. Une matrice.

Et pendant que Rome déroule le tapis rouge, Paris grimace. Pas officiellement. Mais dans les studios, les éditos, les colonnes mal renseignées, on accuse le coup. Parce que l’image dérange : un président Algérien, musulman, discutant spiritualité et dialogue religieux au plus haut sommet de l’Église catholique. Ça casse la narration. Ça brise le mythe d’une Algérie enfermée dans son islam et dans ses murs.

C’est aussi un camouflet franc pour ceux qui, comme Kamel Daoud, se plaisent à décrire l’Algérie comme une prison culturelle. Daoud, qui voit l’islamisme partout, sauf parfois dans les regards néo-coloniaux posés sur son pays. Lui qui brandit la laïcité à la Française comme une lumière, mais ne voit pas quand cette même lumière devient projecteur aveuglant.

La rencontre Tebboune-Pape est donc tout sauf anecdotique. C’est une main tendue, mais sans obséquiosité. Un geste politique, certes, mais aussi une revendication de souveraineté symbolique. L’Algérie ne quémande pas. Elle affirme. Elle existe. Elle parle d’égal à égal. Et elle rappelle, sans avoir à le crier, qu’elle est aussi une terre d’histoire chrétienne, pas seulement un terrain d’islam.

Pendant que le Pape salue Tebboune, un autre chef d’État — le roi du Maroc — n’est pas reçu. Il faudra relire ce détail avec attention. Il dit ce que la diplomatie ne dit pas toujours. Il parle d’équilibres. De priorités. Et peut-être d’un retournement stratégique plus large.

La France, elle, reste figée. Prisonnière d’un logiciel épuisé, fait de peur, de nostalgie coloniale et d’obsessions migratoires. Elle commente l’Algérie sans l’écouter. Elle la juge sans l’observer. Elle projette ses angoisses sur un pays qui, lui, continue d’avancer à sa manière, avec ses contradictions, ses lenteurs, ses propres failles — mais avec un minimum de cohérence.

La vraie gifle, ce n’est pas celle qu’on donne. C’est celle qu’on se prend en regardant une scène qu’on croyait impossible.

Un pape. Un président. Une poignée de main. Et un silence de plomb à Paris.

 
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Publié par le 24 juillet 2025 dans Politique et Société

 

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Chromatique Intérieure,


Traversée urbaine,

Dénombrer tous les soirs les premières lumières du quartier était une seconde nature. Comme un cordon ombilical qui la reliait encore à son enfance. Plusieurs années plus tard, elle continuait à guetter au-delà des fenêtres allumées, qu’il s’agisse de celles bordant les rues de Soho à New York ou de Georgetown à Washington D.C. C’était le même geste, le même appel muet : chercher des signes de vie, deviner les secrets derrière les rideaux entrouverts. Ce n’était pas de la curiosité malsaine. Plutôt une forme d’ancrage.

Elle marchait beaucoup, parfois sans but. Elle se laissait porter par les villes, les traversait comme on traverse un rêve fiévreux, dans l’épaisseur du temps. Elle regardait les passants, écoutait les voix, absorbait les sons. Chaque ville avait son grain, sa densité, son humeur.

Elle n’avait jamais aimé les trajets rectilignes. Les détours lui parlaient davantage. Ils offraient de la place au mystère, au trouble. Elle préférait les ruelles incertaines, les escaliers de secours, les angles morts. Le désordre comme promesse. Le vacillement comme méthode.

Égrener une ville, pour beaucoup, se résume à une énumération pressée : trottoirs fissurés, asphalte aveugle, panneaux publicitaires criards, rames de métro sombres, klaxons sans répit, bouches d’égout fumantes, rues coupées net par des impasses sans grâce. À les entendre, la ville est un piège, un labyrinthe d’épuisement, une accumulation de stimuli voués à étouffer le désir. Mille et une raisons de perdre le nord, ou de se barricader dans l’indifférence.

Mais ce n’est pas ce qu’elle voit. Ce n’est pas ce qu’elle ressent.

Elle évoque plutôt une ville vivante. Une scène mouvante, miraculée, où le naturel se drape de fabuleux. Une ville comme un poème caché dans un cahier d’école, griffonné entre deux listes de courses. Elle existe, cette ville-là — mais elle exige attention. Elle impose qu’on ralentisse. Qu’on s’attarde, qu’on s’infiltre, qu’on creuse dans l’épaisseur du quotidien jusqu’à y dénicher les filons d’émerveillement. Une brise dans une ruelle étroite peut suffire. Un reflet dans une flaque. Un pas mal assuré qui devient pas de danse. Alors, sans même s’en rendre compte, on entre dans un territoire de fécondité, de beauté immédiate, jamais annoncée, jamais attendue.

Les restaurants, eux, sont des chapelles du quotidien. Elle y entre souvent sans faim, portée par une autre soif — celle du son. Le cliquetis des couverts, le tintement discret des verres, les conversations mi-chuchotées dans le creux des épaules, le frisson d’un rire qui naît sous une nappe brodée. Et puis ce rayon de soleil, minuscule, obstiné, qui se pose sur le coin de la table comme un invité tardif. Ce n’est pas le menu qui l’attire. C’est la promesse d’un moment. L’orchestre fragile d’un midi suspendu.

Dans ces instants, les voix des clients, voilées par les notes jazzy échappées de la cuisine, lui procurent une joie rare. Comme un souffle juste, un accord parfait entre elle et le monde. Par réflexe — ou par manie — elle tourne l’enregistreur en catimini et vole ces fragments de vie, ces pulsations vraies, pour les garder au chaud. Manger devient un prétexte. Ce qui compte, c’est prolonger l’expérience sensorielle, la dilater, l’archiver. Les sons, les souffles, les silences, tout lui importe.

Et lorsqu’elle rentre, il lui arrive de réécouter ces moments, dans la pénombre de son salon, les yeux fermés. Un enregistrement d’un déjeuner à Paris, un éclat de voix capté à Séville , le tintement d’une petite cuillère à Abu Dhabi. Le monde tout entier, ramené dans un simple fichier audio. Et ce soir-là, alors que les dernières notes s’échappaient des enceintes, elle a vu le carton. Il était là, près du mur, encore entrouvert. Le paquet venu d’Algérie.
À bout de bleu

Chapitre IV — À bout de bleu

Texte écrit à la suite de la réception d’une œuvre bleue, arrivée d’Algérie, en plein hiver. Le bleu y est matière et mémoire. Le texte est adressé à l’artiste mais parle aussi d’elle, de moi, de ce qui nous relie sans se dire. Ce texte est une réponse, mais surtout une traversée.

La scène s’ouvre sur une pièce bien grande, ourlée d’une baie vitrée occupant tout le mur du fond et donnant sur un jardin à la pelouse parfaitement entretenue.
Dans un coin : un plateau en zellige vert foncé, une tasse avec un fond de café froid, une théière chinoise, deux grandes tasses imbriquées, un pot de yaourt nature vide.
Un peu plus à droite, un carton entrouvert. Elle venait de le déballer.

À l’intérieur, un tableau, soigneusement enveloppé dans du papier de soie. Une toile bleue.
Elle l’a placée sur une étagère, face à la lumière, presque à hauteur de regard. Le bleu s’y répandait comme un souffle.
Elle a reculé d’un pas. Puis deux. Quelque chose flottait dans la pièce. Elle n’a pas su dire quoi.

Elle s’est assise.
A ouvert son laptop.
A commencé à écrire à l’expéditeur.

Je t’offrirai toutes les gazelles bleues.
Yves Klein disait : « Mes peintures ne sont que les cendres de mon art. »

Mais l’écran devient une peau. Une distance.
Il échoue à restituer la texture, la matière, l’excès de cette explosion de bleu qui jaillit dans sa tête comme un éclat d’Algérie.
Ça l’étourdit. Ça l’enivre. Elle ne voit plus : elle sent.

Alors, à bout de bleu, elle écrit.

Comment traverser ce champ pictural sans se perdre ?
Comment résoudre la problématique artistique, cette tension entre la chair et le spirituel ?

Le bleu est partout.
En vagues épaisses.
En taches compactes.
En masses rocailleuses, profondes.
En miroirs.
En touches discrètes, presque murmurées.

Il déconstruit le temps.
Il recompose l’espace.
Il revisite les rituels.
Il dit l’Histoire.
Il suggère une autre naissance.
Une Terre désormais bleue.

Alors commence le pèlerinage.
Non pas vers l’au-delà, mais vers l’eau-delà.
Le geste pictural devient incantation.
Le bleu devient prière.

Et dans cet espace immatériel, une question suspendue :
Qui a créé quoi ?
La montagne, nez au ciel ?
Le regard touareg ?
Ou la lumière elle-même ?

L’artiste éclaire la matière, puis s’efface.
Il laisse le rêve s’installer.

Mes montagnes sont bleues.
Mon désert est mer.

Et toujours, cette voix dans le lointain qui murmure :

« On dira ce qu’on voudra,
c’est peut-être une vraie gazelle,
c’est peut-être une vraie gazelle qui n’est pas vraie…
Mais elle a dit :
Tu peux me prendre si tu veux.
Et il a dit :
Je veux bien. Yaminata sera heureuse.
Elle aura une gazelle, un enfant, un foulard… »


P.S.
Cette toile n’est pas la mer.
Ni le désert.
Ni le ciel.
Cette toile est mon âme voguant sur les cimes de mes années algériennes, de bout en bout, et venant à bout des tendresses maladroites et longuement tues.

Merci l’Artiste.

Index,
Tableaux: « Le Hoggar » de l’Artiste peintre Hocine Ziani
Extraits du livre: de Malek Haddad. Je t’offrirai une gazelle.|

 
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Publié par le 23 juillet 2025 dans A pile et face

 

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L’odeur des soirs,

Elle s’éveilla sans bouger. À peine un souffle, à peine un bruit. Ce n’était ni la lumière ni la voix intérieure qui la tirait du sommeil, mais cette sensation diffuse, instinctive, presque animale : une odeur. Les lieux s’imposent d’abord par le nez. Avant même d’ouvrir les yeux, elle savait où elle était, ou du moins où elle avait été. L’odeur salée d’un balcon tourné vers la Méditerranée, le goût du vent chaud, légèrement iodé, qui colle à la peau et s’incruste dans les cheveux. Cette odeur-là n’a pas besoin de lieu, elle est le lieu. Tout comme l’huile chaude d’une ruelle d’Alger, mêlée au sucre et à la pâte qui frémit dans la friture du matin. On y reconnaît la Casbah avant même d’y mettre les pieds. À des milliers de kilomètres de là, dans la géométrie froide des malls de Dubai, ce sont les notes persistantes de santal et de patchouli qui tissent le décor, la climatisation sèche qui donne au luxe cette allure chirurgicale, distante. Et puis il y a Washington, ses trottoirs lissés, ses arbres parfaitement taillés, et ce parfum de cherry blossom, trop doux, trop propre, presque faux dans sa perfection. C’est toujours l’odeur qui précède le monde.

À ses yeux, l’odeur ne se contentait pas de décrire un lieu, elle en construisait la mémoire. Elle façonnait les émotions, dictait l’humeur des jours. Une journée pouvait être douce ou douloureuse selon ce que l’on respirait au moment de l’ouvrir. Rien n’était plus fiable, plus direct, plus intime. Le cœur était trop symbolique, les souvenirs trop construits, alors qu’un parfum ressuscitait un instant entier sans détour. Une bouffée et tout remontait. Une autre, et tout s’effondrait. Le corps se souvenait avant elle.

Elle se rappelait cette ville perchée sur la Méditerranée, où les soirées n’étaient qu’un prolongement muet de l’après-midi. Le soleil s’était retiré, oui, mais la chaleur demeurait, collée aux murs des maisons en pierre, suspendue aux rideaux que le moindre souffle d’air ne suffisait pas à soulever. Dans ce calme épais, les chiens, épuisés, gardaient les yeux mi-clos, allongés dans les angles d’ombre. Rien ne faisait bruit, sinon le générique diffusé par tous les postes de télévisions du quartier : Le riche et le pauvre, un feuilleton devenu rite nocturne, que chacun suivait sans le dire, en silence, à travers les fenêtres entrouvertes. C’est de cette ambiance suspendue qu’un souvenir précis remontait : une nuit particulière, elle avait suivi son grand frère jusqu’à l’épicerie du coin. Il y avait acheté une bouteille de Hammoud Boualem glacée. Une bouteille en verre sombre, perlée de gouttelettes, qui brillait sous les lampadaires comme une promesse d’ailleurs.

Elle se souvenait de la difficulté à suivre ses pas. Il allait vite, lui. Il voulait rentrer avant la fin du générique, et elle, elle courait à petits pas, s’appliquant à ne pas le perdre, à ne pas rester seule dans cette nuit qui ne lui appartenait pas. Ce n’était pas dans ses habitudes de sortir après le coucher du soleil. La chaleur nocturne, étrange, presque hostile, ajoutait au vertige de cette escapade. Mais ce qu’elle n’a jamais oublié, ce sont les lumières. Suspendues aux fenêtres, sans logique ni symétrie, elles semblaient respirer doucement. Et surtout, il y avait l’odeur du jasmin de nuit. Un parfum dense, presque liquide, qui s’enroulait autour des jambes, remontait jusqu’aux tempes, laissait dans l’air comme une mélodie invisible. Ce n’était ni un détail ni un décor. C’était le centre. L’odeur avait rendu cette nuit inoubliable, alors même qu’elle n’en avait compris ni l’enjeu ni le sens.

Des années plus tard, elle continuait à dénombrer les premières lumières du soir, comme on consulte les signes d’un monde intérieur. Ce geste, devenu réflexe, était une manière de se relier à ce qui avait été. Elle n’aurait su dire si cela relevait d’un besoin, d’une habitude ou d’un attachement plus profond. Regarder les fenêtres qui s’allumaient dans les rues de Soho ou celles, plus rangées, de Georgetown, relevait du même rituel que dans l’enfance. À travers ces halos jaunes ou bleutés, elle ne cherchait pas à deviner les visages ni les histoires, seulement à sentir que la vie continuait, là, quelque part, même si ce n’était plus la sienne. Chaque lumière derrière une vitre, chaque rideau entrouvert, était un battement, un signe discret, un je suis encore là. Il n’y avait rien à expliquer, rien à rationaliser. Elle regardait, elle sentait, et cela suffisait à maintenir le fil.

À tous ces souvenirs d’enfance s’était greffé, ces dernières années, le spectacle familier du métro aérien qui serpentait face à la fenêtre de sa cuisine. De jour comme de nuit, elle observait le va-et-vient régulier des rames, comme on écoute le ressac. Ce n’était pas seulement des wagons qui passaient, mais tout un échantillon de vies humaines, confortablement assises, absorbées, peut-être, par leurs écrans ou leurs pensées. Le soir, les silhouettes se détachaient plus nettement à travers les vitres, dessinant un théâtre d’ombres en mouvement. À la fréquence des trains ou à la densité des voyageurs, elle savait reconnaître l’heure, parfois même le jour de la semaine. Les week-ends, les passages étaient plus espacés, les compartiments plus clairsemés. La nuit, les visages devenaient rares, les trajets silencieux.

Il y avait aussi les voisins, discrets mais constants, qui promenaient leurs chiens à toute heure, foulant le gazon impeccablement tracé. Ils ramassaient méthodiquement les déjections des petites bêtes, comme on efface chaque jour la trace d’un passage. Ce quartier, voilà près de vingt ans qu’elle y avait déposé ses valises. Elle qui avait longtemps vagabondé, de continent en continent, de villes en villes, d’appartements huppes en maison de ville cossue, elle avait fini par pousser la porte en bois de la maison bleue. Elle n’y avait pas cru tout de suite. Il lui avait fallu du temps pour admettre qu’elle avait atterri, enfin. Mais à force de lumières guettées, de parfums familiers, de métros comptés et de chiens connus par cœur, le lieu avait fini par l’absorber doucement, comme une terre reconnaîtrait enfin son exilée.

 
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Publié par le 21 juillet 2025 dans A pile et face

 

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Kamel Daoud et le confort tranquille du néocolonialisme mediatique,

Kamel Daoud a-t-il encore quelque chose à dire ou simplement à redire ? Car, The chroniqueur ne questionne pas, il confirme. Il ne dérange pas, il rassure.
Derrière l’image d’un écrivain « libre », acclamé à Paris, décoré, publié chez Gallimard, célébré sur les plateaux français, se dessine une fonction beaucoup plus politique que litterraire: celle de chroniqueur officiel d’un récit rassurant pour une France en crise identitaire.
Ses romans, comme l’analyse justement l’universitaire Zoubida Berrahou, sont moins des œuvres de création que des vitrines idéologiques. « Houris », son dernier en date, n’est rien de plus qu’un remake de Ô Pharaon — même récit, mêmes symboles, mêmes obsessions, mais cette fois adaptés au goût du jour, lisibles, présentables, récompensables.

Dans ce jeu, l’ambiguïté laisse place a la lisibilité. la complexité à la clarté idéologique : ce n’est pas de littérature dont il s’agit, mais d’un produit éditorial bien emballé. Un roman prêt-à-penser, exportable, compatible avec les attentes d’un public Français inquiet de ses marges, de ses banlieues, de son histoire coloniale non digérée.

Pendant ce temps, le monde vacille :
Gaza est dévastée, des civils tombent en Palestine, au Liban, en Syrie, au Yémen et à Téhéran.
La France se réarme, frôle la récession et vend des armes en série pendant qu’elle prêche la paix.

Et que fait Kamel Daoud ?


Il continue a designer les memes cibles: Les femmes musulmanes, les Algériens, les binationaux, les corps racisés et les musulmans “pas assez intégrés”.
Dans une boucle sans fin, il rejoue la même scène, chronique après chronique, livre après livre.
Il n’écrit pas pour révéler le réel, mais pour le reconduire.

Si Le PointGallimard ou les grands médias l’aiment tant, ce n’est pas pour son audace littéraire.
C’est pour sa capacité à produire un discours « du Sud » qui valide les obsessions Françaises .
À faire passer des stéréotypes pour de la critique.
À déguiser une adhésion à l’ordre dominant en dissidence.

Kamel Daoud ne dérange pas l’ordre établi, il le renforce.
Non pas malgré ses origines, mais à cause d’elles.
Il est cette voix du Sud qui rassure l’Occident inquiet.
Un chroniqueur de la différence, qui reconduit chaque semaine l’idée que, finalement, le problème, ce sont les autres. Les “siens”.

Non KD n’a pas changé de camp : il l’a choisi.
Celui d’un récit figé. D’un monde binaire. D’une fiction politique qui masque sa fonction première : servir le confort intellectuel d’une époque qui préfère les citoyens du Sud qui s’excusent aux écrivains qui accusent.

Comme le dit Berrahou, son œuvre est un palindrome :
Elle se lit dans un sens ou dans l’autre.
Mais elle ne mène nulle part.

 
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Publié par le 20 juillet 2025 dans Litterrature

 

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