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Archives d’Auteur: Jasmins de nuit

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À propos de Jasmins de nuit

« La mode passe, le style reste. » Merci Coco Chanel pour la punchline intemporelle. Ici, on ne parle pas que de fringues ou de tendances. On parle d’un regard. D’une manière de marcher dans le monde. D’un souffle — un peu poétique, un peu politique, un peu fou. Le style, c’est une humeur. C’est ce petit twist entre panache, pulsion et poésie. C’est l’art de réinventer les lieux, de faire swinguer le quotidien sans jamais oublier de s’amuser. 🇩🇿🇺🇸 Bienvenue dans un espace à mi-chemin entre Alger et Washington, où les vibes s’entremêlent, où l’on cause, l’on rit, l’on observe, l’on ose. J’espère que ce blog vous parlera. Mieux : j’espère que vous y laisserez vos battements de cœur, vos doutes, vos idées, vos cris et vos rires. Parce qu’un style, ça ne se porte pas seul. À vous de jouer. Cheers .

L’odeur des soirs,

Elle s’éveilla sans bouger. À peine un souffle, à peine un bruit. Ce n’était ni la lumière ni la voix intérieure qui la tirait du sommeil, mais cette sensation diffuse, instinctive, presque animale : une odeur. Les lieux s’imposent d’abord par le nez. Avant même d’ouvrir les yeux, elle savait où elle était, ou du moins où elle avait été. L’odeur salée d’un balcon tourné vers la Méditerranée, le goût du vent chaud, légèrement iodé, qui colle à la peau et s’incruste dans les cheveux. Cette odeur-là n’a pas besoin de lieu, elle est le lieu. Tout comme l’huile chaude d’une ruelle d’Alger, mêlée au sucre et à la pâte qui frémit dans la friture du matin. On y reconnaît la Casbah avant même d’y mettre les pieds. À des milliers de kilomètres de là, dans la géométrie froide des malls de Dubai, ce sont les notes persistantes de santal et de patchouli qui tissent le décor, la climatisation sèche qui donne au luxe cette allure chirurgicale, distante. Et puis il y a Washington, ses trottoirs lissés, ses arbres parfaitement taillés, et ce parfum de cherry blossom, trop doux, trop propre, presque faux dans sa perfection. C’est toujours l’odeur qui précède le monde.

À ses yeux, l’odeur ne se contentait pas de décrire un lieu, elle en construisait la mémoire. Elle façonnait les émotions, dictait l’humeur des jours. Une journée pouvait être douce ou douloureuse selon ce que l’on respirait au moment de l’ouvrir. Rien n’était plus fiable, plus direct, plus intime. Le cœur était trop symbolique, les souvenirs trop construits, alors qu’un parfum ressuscitait un instant entier sans détour. Une bouffée et tout remontait. Une autre, et tout s’effondrait. Le corps se souvenait avant elle.

Elle se rappelait cette ville perchée sur la Méditerranée, où les soirées n’étaient qu’un prolongement muet de l’après-midi. Le soleil s’était retiré, oui, mais la chaleur demeurait, collée aux murs des maisons en pierre, suspendue aux rideaux que le moindre souffle d’air ne suffisait pas à soulever. Dans ce calme épais, les chiens, épuisés, gardaient les yeux mi-clos, allongés dans les angles d’ombre. Rien ne faisait bruit, sinon le générique diffusé par tous les postes de télévisions du quartier : Le riche et le pauvre, un feuilleton devenu rite nocturne, que chacun suivait sans le dire, en silence, à travers les fenêtres entrouvertes. C’est de cette ambiance suspendue qu’un souvenir précis remontait : une nuit particulière, elle avait suivi son grand frère jusqu’à l’épicerie du coin. Il y avait acheté une bouteille de Hammoud Boualem glacée. Une bouteille en verre sombre, perlée de gouttelettes, qui brillait sous les lampadaires comme une promesse d’ailleurs.

Elle se souvenait de la difficulté à suivre ses pas. Il allait vite, lui. Il voulait rentrer avant la fin du générique, et elle, elle courait à petits pas, s’appliquant à ne pas le perdre, à ne pas rester seule dans cette nuit qui ne lui appartenait pas. Ce n’était pas dans ses habitudes de sortir après le coucher du soleil. La chaleur nocturne, étrange, presque hostile, ajoutait au vertige de cette escapade. Mais ce qu’elle n’a jamais oublié, ce sont les lumières. Suspendues aux fenêtres, sans logique ni symétrie, elles semblaient respirer doucement. Et surtout, il y avait l’odeur du jasmin de nuit. Un parfum dense, presque liquide, qui s’enroulait autour des jambes, remontait jusqu’aux tempes, laissait dans l’air comme une mélodie invisible. Ce n’était ni un détail ni un décor. C’était le centre. L’odeur avait rendu cette nuit inoubliable, alors même qu’elle n’en avait compris ni l’enjeu ni le sens.

Des années plus tard, elle continuait à dénombrer les premières lumières du soir, comme on consulte les signes d’un monde intérieur. Ce geste, devenu réflexe, était une manière de se relier à ce qui avait été. Elle n’aurait su dire si cela relevait d’un besoin, d’une habitude ou d’un attachement plus profond. Regarder les fenêtres qui s’allumaient dans les rues de Soho ou celles, plus rangées, de Georgetown, relevait du même rituel que dans l’enfance. À travers ces halos jaunes ou bleutés, elle ne cherchait pas à deviner les visages ni les histoires, seulement à sentir que la vie continuait, là, quelque part, même si ce n’était plus la sienne. Chaque lumière derrière une vitre, chaque rideau entrouvert, était un battement, un signe discret, un je suis encore là. Il n’y avait rien à expliquer, rien à rationaliser. Elle regardait, elle sentait, et cela suffisait à maintenir le fil.

À tous ces souvenirs d’enfance s’était greffé, ces dernières années, le spectacle familier du métro aérien qui serpentait face à la fenêtre de sa cuisine. De jour comme de nuit, elle observait le va-et-vient régulier des rames, comme on écoute le ressac. Ce n’était pas seulement des wagons qui passaient, mais tout un échantillon de vies humaines, confortablement assises, absorbées, peut-être, par leurs écrans ou leurs pensées. Le soir, les silhouettes se détachaient plus nettement à travers les vitres, dessinant un théâtre d’ombres en mouvement. À la fréquence des trains ou à la densité des voyageurs, elle savait reconnaître l’heure, parfois même le jour de la semaine. Les week-ends, les passages étaient plus espacés, les compartiments plus clairsemés. La nuit, les visages devenaient rares, les trajets silencieux.

Il y avait aussi les voisins, discrets mais constants, qui promenaient leurs chiens à toute heure, foulant le gazon impeccablement tracé. Ils ramassaient méthodiquement les déjections des petites bêtes, comme on efface chaque jour la trace d’un passage. Ce quartier, voilà près de vingt ans qu’elle y avait déposé ses valises. Elle qui avait longtemps vagabondé, de continent en continent, de villes en villes, d’appartements huppes en maison de ville cossue, elle avait fini par pousser la porte en bois de la maison bleue. Elle n’y avait pas cru tout de suite. Il lui avait fallu du temps pour admettre qu’elle avait atterri, enfin. Mais à force de lumières guettées, de parfums familiers, de métros comptés et de chiens connus par cœur, le lieu avait fini par l’absorber doucement, comme une terre reconnaîtrait enfin son exilée.

 
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Publié par le 21 juillet 2025 dans A pile et face

 

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Kamel Daoud et le confort tranquille du néocolonialisme mediatique,

Kamel Daoud a-t-il encore quelque chose à dire ou simplement à redire ? Car, The chroniqueur ne questionne pas, il confirme. Il ne dérange pas, il rassure.
Derrière l’image d’un écrivain « libre », acclamé à Paris, décoré, publié chez Gallimard, célébré sur les plateaux français, se dessine une fonction beaucoup plus politique que litterraire: celle de chroniqueur officiel d’un récit rassurant pour une France en crise identitaire.
Ses romans, comme l’analyse justement l’universitaire Zoubida Berrahou, sont moins des œuvres de création que des vitrines idéologiques. « Houris », son dernier en date, n’est rien de plus qu’un remake de Ô Pharaon — même récit, mêmes symboles, mêmes obsessions, mais cette fois adaptés au goût du jour, lisibles, présentables, récompensables.

Dans ce jeu, l’ambiguïté laisse place a la lisibilité. la complexité à la clarté idéologique : ce n’est pas de littérature dont il s’agit, mais d’un produit éditorial bien emballé. Un roman prêt-à-penser, exportable, compatible avec les attentes d’un public Français inquiet de ses marges, de ses banlieues, de son histoire coloniale non digérée.

Pendant ce temps, le monde vacille :
Gaza est dévastée, des civils tombent en Palestine, au Liban, en Syrie, au Yémen et à Téhéran.
La France se réarme, frôle la récession et vend des armes en série pendant qu’elle prêche la paix.

Et que fait Kamel Daoud ?


Il continue a designer les memes cibles: Les femmes musulmanes, les Algériens, les binationaux, les corps racisés et les musulmans “pas assez intégrés”.
Dans une boucle sans fin, il rejoue la même scène, chronique après chronique, livre après livre.
Il n’écrit pas pour révéler le réel, mais pour le reconduire.

Si Le PointGallimard ou les grands médias l’aiment tant, ce n’est pas pour son audace littéraire.
C’est pour sa capacité à produire un discours « du Sud » qui valide les obsessions Françaises .
À faire passer des stéréotypes pour de la critique.
À déguiser une adhésion à l’ordre dominant en dissidence.

Kamel Daoud ne dérange pas l’ordre établi, il le renforce.
Non pas malgré ses origines, mais à cause d’elles.
Il est cette voix du Sud qui rassure l’Occident inquiet.
Un chroniqueur de la différence, qui reconduit chaque semaine l’idée que, finalement, le problème, ce sont les autres. Les “siens”.

Non KD n’a pas changé de camp : il l’a choisi.
Celui d’un récit figé. D’un monde binaire. D’une fiction politique qui masque sa fonction première : servir le confort intellectuel d’une époque qui préfère les citoyens du Sud qui s’excusent aux écrivains qui accusent.

Comme le dit Berrahou, son œuvre est un palindrome :
Elle se lit dans un sens ou dans l’autre.
Mais elle ne mène nulle part.

 
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Publié par le 20 juillet 2025 dans Litterrature

 

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Les fossoyeurs du futur,

Quand la politique prend l’odeur de la naphtaline.

Par un monde essoufflé, aux frontières floues et aux tempes blanchies, les rênes du pouvoir glissent inlassablement entre les mains des mêmes vétérans du siècle dernier. Ils tiennent encore bon, les vieux lions de la géopolitique, cramponnés à leurs trônes comme à des cannes en or. Pendant ce temps, sur les estrades parfumées des sommets internationaux, on martèle un autre refrain, à l’usage du Sud : « Faites de la place à vos jeunes. Libérez la démocratie. Démilitarisez. Respirez. »

Or, regardez bien la scène. Non, pas la façade mais le cœur du pouvoir global.

Trump — 79 ans.

Netanyahu — 75.

Poutine — 73.

Xi Jinping — 72.

Erdogan — 71.

Bienvenue dans le conseil d’administration d’un monde en fin de cycle.

Des dirigeants qui ont grandi avec le transistor et gouvernent avec la nostalgie d’un monde bipolaire. Ils pilotent des nations comme on entretient une vieille Buick : lentement, bruyamment, et sans trop écouter le GPS. Ce sont les gardiens d’un ordre mondial en mode veille. Des hommes qui négocient la paix avec la logique d’un jeu d’échecs de guerre froide.

Le pouvoir, chez eux, ne se transmet pas — il se conserve. Sous vide. Il ne s’altère pas — il s’encroûte. On parle d’alternance politique, mais dans les faits, on recycle les mêmes silhouettes dans des costumes différents, comme un vieux numéro de cabaret qu’on ne parvient plus à annuler.

Et quand un jeune parvient à se hisser sur la scène ? Il fait du vieux.

Prenez Emmanuel Macron : un quadra, certes, mais au logiciel antique. À peine entré en scène qu’il rêve déjà de casernes, de tambours et de mobilisation générale. Le voilà qui exhorte les Français à “se préparer à la guerre”, qui relance l’idée du service militaire comme on ressort une vieille affiche de propagande des années 40, tout en vendant des Rafale aux quatre coins du globe. Ironie suprême : le même Macron fustige les “régimes militaires” Africains avec une morgue coloniale à peine déguisée. La démocratie, oui, mais à sens unique. Les armes pour lui, la paix pour les autres. Les généraux à Paris, les poètes à Alger.

La vraie blague ? Elle est là.

L’Occident donne des leçons de jeunesse et de renouvellement, alors que son propre système politique se sclérose à vue d’œil. Les élections deviennent des remakes sans surprise, les débats sentent le renfermé, et les opposants sont plus souvent des hologrammes que des alternatives. Les boomers continuent de conduire l’avion mais les plans de vol sont datés de 1975.

Et quand ça crashe — car ça crashera — on pointera du doigt les jeunes. Leur insouciance. Leur TikTok. Leur supposé désengagement.

Mais la vérité, brutale, c’est que la démocratie occidentale n’est plus un cycle : c’est une boucle algorithmique. On tourne en rond avec les mêmes profils, les mêmes références, les mêmes fausses promesses. Longévité ne veut plus dire sagesse. Juste présence.
Ininterrompue.
Inaltérée.
Irritante.

Et à ceux qui croient encore que la démocratie est le terrain de jeu de la jeunesse : regardez autour de vous. Les fauteuils sont occupés. Les micros sont branchés. Les archives gouvernent le présent.

Parce que la démocratie sans jeunesse, c’est une dictature au ralenti.

Et cela vaut autant à Bamako qu’à Bruxelles.

La seule différence, c’est le vernis et la langue du communiqué.

 
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Publié par le 20 juillet 2025 dans Politique et Société

 

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La mère, le silence et la fiction coloniale.

Kateb Yacine rend hommage a sa mère: « Kateb Yacine: « Ma mère a été ma première source d’inspiration. »

Il a perdu sa mère. Il l’a annoncé en quelques lignes, sur Twitter, avec la sécheresse d’un constat administratif. Une douleur tue, ou trop vite traversée. Pas un mot pour elle. Mais des mots pour lui, pour le pays, pour le president Algerien, pour l’éternel procès d’intention qu’il aime mener, même dans l’ombre du deuil. L’émotion ? Absente et substituée par une mise en scène.

À croire que la disparition de la mère ne vaut, chez lui, que pour ce qu’elle permet de dire sur lui-même.

À l’opposé, il y a Kateb Yacine. Lui n’a jamais cessé de parler de sa mère. Elle était son socle, son institutrice et sa déchirure.

Kateb n’a pas cité sa maman par convenance, il l’a portée dans chaque vers. Internée, brisée, mais vivante à travers sa voix. Elle fut le canal par lequel il a accédé à la poésie arabe, à la langue interdite, à l’héritage refoulé. Ce lien, ni esthétisé ni glorifié mais bien vécu, hante toute son œuvre.

Nous comprenons pourquoi Kamel Daoud évite ce nom. Kateb est indigeste pour ceux qui veulent faire l’économie du colonialisme. Il est trop direct, trop radical, trop ancré. Il écrit contre l’oubli, contre la compromission. Rien à voir avec le clinquant moral des plateaux français ou la nostalgie d’une Algérie rêvée par ceux qui l’ont quittée.

Daoud ne cite pas Kateb, ni Mammeri, ni Feraoun, ni Assia Djebar. Ni même Djaout ou Boudjedra. Leur présence l’encombre. Trop d’histoire. Trop de chair. Il préfère Camus. Il s’y accroche comme à une bouée littéraire, réclamant une filiation que rien ne justifie : ni le style, ni l’univers, ni la trajectoire. Ce qui les rapproche ? Oran, peut-être. Mais Daoud n’en est pas originaire. Il y écrit comme on occupe un territoire symbolique. Une fiction spatiale pour consolider la fiction coloniale.

Le plus troublant, c’est que cette affiliation forcée plaît. Elle est rassurante. Elle raconte une Algérie digérable, qui peut être lue depuis Paris sans malaise. Une Algérie qui parle le langage des anciens maîtres, qui cite Camus au lieu de citer ses propres morts. Une Algérie neutralisée.

Or, l’autre Algérie existe.

Celle qui lit encore Kateb.

Celle qui se souvient que la mère est un lieu d’apprentissage et de révolte.

Celle qui sait que l’écriture ne consiste pas à chercher l’approbation, mais à nommer ce qui dérange.

La mère est partie. Le silence reste. Et ce qu’on fait de ce silence en dit souvent plus que mille hommages.

 
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Publié par le 14 juillet 2025 dans Politique et Société

 

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L’agenda – géographie friable,

Sur la table basse, l’agenda trône, noir, épais, écorné, usé par des mains trop agitées.
Il l’ouvre au hasard, laisse les pages parler à sa place.
Des villes y sont encerclées, soulignées, parfois griffonnées en majuscules rageuses.
Afghanistan.
Jérusalem.
Moscou.
Téhéran.
Yémen.
Jalal Abad.

Des noms comme des coups de feu,
comme des battements d’un cœur qui ne sait plus où se poser.

Elle, penchée par-dessus son épaule, murmure, presque en retenant son souffle :

— C’est un volcan, ton carnet.
Un magma politico-militairo-financier.
Un inventaire du chaos organisé.

Il referme doucement l’agenda, comme on claque la porte d’un lieu trop chargé.
Il ne veut pas en parler. Il ne sait pas dire. Ou plutôt : il ne peut pas.

— Tu as promis de me faire confiance.
— Je te fais confiance. Mais je note.

Elle insiste sans hausser le ton.
Elle questionne sans violence.
Ce soir, elle veut comprendre.
Pas seulement l’homme, mais l’ensemble du système qu’il transporte avec lui.
Elle sait lire les silences, mais parfois, elle exige les sous-titres.

— Ce « my people » dont tu parles… C’est qui ?
Tu les paies comment, tes silences ?
Et ce vinyle collector… Tu l’as échangé contre quoi ?

Il la regarde, longtemps, sans ciller.
Ses yeux disent « trop », « pas maintenant », « pas ici ».

— Fadela méritait une entrée digne.
C’est tout ce que je dirai.

Elle sourit malgré elle.

— Tu m’échappes, tu sais.
— J’espère bien.

Pause. Silence.

— Tu as parlé de notre ami ?
— Je crains que ce ne soit un incident, comment dire… diplomatique. Inextricable.

Il baisse les yeux. Elle continue :

— Ce sont des allégations. Beaucoup d’allégations.
On les a recueillies auprès du chauffeur personnel de son épouse.

Il lève un sourcil.

— Le chauffeur de l’ambassade, tu veux dire. Ce n’est pas rien.

— Non, ce n’est pas rien.
Mais c’est peut-être tout.
Fréquenter un diplomate français quand on est l’épouse de l’ambassadeur d’Algérie à Washington.
Ce n’est pas une erreur.
C’est une déclaration de guerre.

Il reste silencieux.
Puis, calmement :

— C’est un guet-apens. Préparé dans l’ombre.
Il dérangeait trop. Le tout-New York était à ses pieds.
Rabat fulminait, tu te souviens ?

Elle hoche la tête.
Elle se souvient.
Du tumulte feutré des couloirs, des regards qui filent, des articles non publiés.

Et pendant qu’ils parlent de lui, de l’ami tombé, quelque chose les traverse.
Une peur ?
Une nostalgie ?
Un pressentiment ?

Quelque chose d’expressionniste se jouait là,
dans cette pièce baignée d’une lumière d’aquarium.
Une tentative de surnager la petitesse humaine.
Une façon de redonner au chaos une forme, un tempo, une image.

— Cela reste jouable, dit-il.
À condition de s’armer.
D’une infinie patience.

Elle lui tend sa tasse.
Il la remplit.
Elle le regarde faire, avec une douceur presque désarmée.

— Ton thé a refroidi, dit-il.
Je vais te le réchauffer.

Et sans qu’il le sache, elle pense à sa guerre à elle.
Silencieuse. Romantique.
Pour ce diplomate à la voix trouble et au passé trop dense.

Elle sait qu’elle est peu de ce monde.
Mais elle veut y rester encore un peu.


 
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Publié par le 13 juillet 2025 dans A pile et face

 

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Sa version.

Une femme se tient devant sa fenêtre.
Il y a toujours une vitre dans ces cas-là.
Elle appuie le front contre la surface froide,
active la touche rewind.


Sur le seuil du monde, les chemises en lin blanc impeccablement repassées,
soulignaient avec insistance les peaux étonnamment dorées.
Les sourires n’étaient pas forcément sincères,
les bouches de toutes ces mondaines, minutieusement tracées au rouge écarlate Dior,
se contractaient en « Ohhhh » savamment dosés,
divins, suspendus juste au-dessus des plats.

Exquis.

Il faut dire que l’ambassade Britannique sait y faire.
Quand sa majesté recevait pour l’iftar,
c’était toutes les dunes de l’Arabie qui scintillaient
jusqu’à très tard dans la nuit.


Il la regardait, intrigué, beaucoup amusé, infiniment séduit.
Leur hôte, un brillant diplomate, les avait placés côte à côte.

Autour de la somptueuse table,
s’entrechoquaient des nationalités confondues,
plénipotentiaires des sphères d’intérêts encore plus confondantes.
Disons-le.

– Madame la conférencière vient de New York,
annonça-t-on.
Ils avaient même échangé il y a quelques mois sur l’urgence
de protéger le temple antique de Baalshamin à Palmyre.

Ne pouvant assister à son exposé, faute de caler la séance entre deux vols,
il s’était promis de la revoir.
Le plus vite possible.


Au moment de servir le deuxième plat,
la voix fluette se détachait des murs
et des ombres langoureuses que dessinaient les flammes des bougies,
embaumant le bois de santal.

Elle tournoyait au-dessus de leur tête
avant de se mêler au tintement des verres en cristal.

Cela faisait de jolis tchin-tchin.
Cela donnait des histoires invraisemblables.

– Ma grand-mère avait coutume de donner des soirées légendaires
dans sa villa du grand Alger,
commença-t-elle.

On disait que la demeure aurait appartenu à Saint-Saëns.
On disait aussi que, par une fiévreuse nuit d’août,
quelque part sur les rives de la pointe Pescade,
un homme de 38 ans, d’une lucidité intacte,
ouvrit grand la fenêtre de sa chambre
et lâcha sur la ville, par poignées entières,
des centaines de partitions musicales.

Elle s’interrompit, le temps de lisser un pli sur la nappe,
avec le souci d’accomplir quelque chose d’éminemment important,
avant de poursuivre, en baissant la voix d’un cran,
sur le ton de la confidence :

– Ma grand-mère, elle, n’avait d’oreille que pour la séraphique Fadela et ses noubas.

– Est-elle toujours à Alger ?
– Fadela ? Bien sûr que non.
Elle décédera en 70, le jour de ma naissance.
Ma grand-mère y a vu un signe
et m’a fait jurer de laisser chanter Fadela partout où j’irai.


Bien entendu qu’il pensait à la grand-mère, lui.

Avant le dessert, il tremblait déjà à l’idée
de ne pouvoir revoir ce petit bout de femme
qui ne faisait pas de grands « Oh »
mais qui semblait fragilisée par la perte de Fadela.

– J’aimerais vous revoir dans la maison de votre grand-mère.
– Je n’y habite plus.

Suivit un mouvement précipité de toutes les lumières,
traversant à l’oblique l’enfilade des vitres
donnant sur le jardin de la résidence.


Généralement, la douleur était trop sourde.
Ramassée, la boule juste au niveau de l’estomac
s’amplifiait en boursouflures qui ralentissaient dangereusement sa respiration.

Le savoir, loin encore, plusieurs fois dans le mois, dans l’année,
durant quelques 25 ans,
elle ne s’y résignera jamais.
Certainement pas durant la nuit.

Le jour, elle fera comme si,
peinant à défroisser les chronologies boudeuses.

La perdition, les creux, le vide, les blancs, l’incompréhension,
les enfonçures se résorberont, pour un moment,
sous la couverture en cuir de chèvre du mémorandum souvent trop chargé.

La modernité entière serait-elle un agenda qui prétend ?


– J’ai menti,
ce n’est pas seulement que je voudrais rester à tes côtés,
mais je le veux tellement.

C’était sa manière à lui d’annoncer les départs.


On sent ici l’homme pris dans ses contradictions,
à la fois ancré dans un monde où tout s’achète et se négocie,
et à la fois prisonnier de ses fragilités et de ses désirs.

 
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Publié par le 11 juillet 2025 dans A pile et face

 

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Cercles concentriques.

Une vérité avait fendu l’air.
Lancée sans préméditation.
Comme une pierre dans un lac calme.
Elle n’avait pas encore touché le fond.
Mais les cercles, eux,
commençaient déjà à se former.


Le récit des matins de fin d’été se construit sur des palpitations en forme de houppette :
rondes, lisses, harmonieuses, intimes, nouvelles.

La brise courait le long de l’enfilade des fenêtres ouvertes sur la lumière des premières heures.
Douce. Infiniment douce.

Une poupée oubliée au coin du jardin.
L’oiseau qui se pose dans un bruissement d’ailes sur le bord de la chaise en toile bleu Klein.

La peau, exquisément dorée,
encore tiède au sortir du lit,
sous un pyjama coupé dans un onctueux cachemire blanc.

Elle passait plusieurs fois la main dans ses cheveux très courts,
coupés jusqu’au-dessus des oreilles,
puis tentait de lisser son regard en tapotant doucement sur ses paupières.

C’était un geste appris d’une vieille science japonaise : le taikyoku ken,
la « boxe avec l’ombre ».
Elle appuyait légèrement sur ses rétines,
comme on joue un tempo très lent, libre, tranquille.


À l’étage, l’accord était parfait.
L’odeur du premier café,
la radio qui grésille,
le téléphone qui sonne et que l’on laisse sonner un moment avant de décrocher.

– Allô, disait la voix, encore ensommeillée, à l’autre bout du monde.
– Bonjour. Je te rajoute un peu de lait ? Miel ou sucre ?


Les harmonies étaient forcément légères.
On jouait les retrouvailles à distance
sur une musique minimaliste,
pour mieux parler de l’émotion qui nous tient debout.

– Tu m’entends, ma chérie ?

La voix basse, caressante,
un rien poivrée,
égrenait — au-delà des bornes kilométriques —
un ordonnancement du merveilleux face au monde.

– Tu rentres quand ?
– Franchement… je ne sais pas.
C’est encore plus compliqué que nous le pensions.

Le timbre se voile légèrement.
Un nuage passe.
Les intonations deviennent obliques,
de peur de réveiller les obsessions des corps
qui ont coutume de se mélanger.

– Je dois y aller. Je te rappelle dans la journée. Je t’embrasse.

clic
Le téléphone raccroché.
Les accords s’embrouillent.
La valse ne reprend pas à l’identique.


Une faille.
Subtile. Mais bien là.
Une sorte d’espace à peine visible,
entre ce qu’on dit et ce qu’on ressent.
Entre ce qui a été offert
et ce qui ne sera jamais restitué.

 
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Publié par le 10 juillet 2025 dans A pile et face

 

La ville comme mémoire.

La ville n’était pas un lieu.
C’était une suite de temps superposés.
Une pellicule grattée à la lame de rasoir.
On y entendait encore les rires d’enfants, les grenades éclatées, les voix radiophoniques étouffées par l’orage.
Elle n’avait pas changé, non.
Elle s’était juste renfrognée.
À force d’avaler les silences.

Assia y vivait encore, dans un pli de lumière, dans un angle de mur, dans le souvenir des phrases pas dites.


– Tu ne me dis plus rien depuis un moment.
– Tout va bien, je t’assure. Ils ont même annoncé les lauréats cette semaine.
– Ce n’est pas faute d’avoir ignoré le sujet pourtant. Faudrait se réapproprier cette foutue grammaire. Tu parlais de lauréates, au moins une ?

Silence.
Grammaire caduque, syntaxe genrée, féminité effacée.

– Globalement trois lauréates. Enfin, si on le prend par le bout grammatical. L’arabe, le tamazight, le français. Dans cet ordre. Trois langues à la queuleuleu.
C’est dire la complexité du labeur.

– Et ?

– Ils ont opté pour le masculin véritable.
Le même que sur les étiquettes.
Véritable café, véritable cuir, véritable crime.


Dans la pièce, une seule fenêtre.


Pas d’ameublement, sinon la lumière qui découpait les jours comme au scalpel.
Assia, faiseuse d’ombres, me tournait le dos.
Sa voix avait gardé ces terminaisons longues, veloutées.
Elle s’ennuyait dans l’au-delà.
Trop peu de récits.
Rien à raconter.


– De quoi parle-t-on en bas ?
– D’histoires locales, de montages inachevés.
De l’éternel il/elle, de propriétés vagues.
On tente de redéfinir les évidences pour mieux creuser le malentendu.
Le temps n’est pas aux poètes, encore moins à l’audace de l’alphabet.

– Mais encore ?

– Ils font dans le parti-pris éditorial.
Faire taire les unes pour amplifier les autres.
Du bavardage vulgaire, bruyant.
Tu es partie trop tôt, Assia.
Toi seule savais remettre en jeu les vies en mousseline.


Sa respiration devenait métrique.
Un tambour dans ma tête.
Je perdais pied.
Les silhouettes devenaient trop grandes, les murs trop serrés.

– C’est l’histoire d’une poussée d’adrénaline à contre-courant.
Une fausse monnaie intellectualiste.
Une juxtaposition de lettres faite pour étouffer la cité.
Les mains des unes se détachent des autres.
L’Occident/Orient décroche le prix de la sinistrose aiguë.
C’est un décrochage organique.
Le plus grand bluff du siècle.
Une architecture du non-commun.
Le récit, c’est ça : effacer l’insignifiant féminin.

Tu m’entends, Assia ?


Pas de réponse.
Juste les mots, qui tombaient,
comme du verre sur le ciment froid.


– Les murs s’épaississent à vue d’œil depuis ton départ.
Les femmes d’Alger n’arrivent même plus à pousser la porte de leur propre appartement.
Le macabre est devenu régulation.
La douleur, un produit brut.
Et la peine au féminin s’étire de Sanaa à Cologne.

– Et Kamel ? Qu’est-ce qu’il dit, Kamel ?

Kamel ne dit plus rien, Assia.
Il ne dira plus rien.


Le souvenir se replie sur lui-même.


La ville, elle, continue de marcher.
Sans rien effacer.
Tout s’inscrit.
Même ce qu’on tente d’oublier.

 
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Publié par le 10 juillet 2025 dans A pile et face

 

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