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Archives de Tag: Litterature Algerienne

La ville comme mémoire.

La ville n’était pas un lieu.
C’était une suite de temps superposés.
Une pellicule grattée à la lame de rasoir.
On y entendait encore les rires d’enfants, les grenades éclatées, les voix radiophoniques étouffées par l’orage.
Elle n’avait pas changé, non.
Elle s’était juste renfrognée.
À force d’avaler les silences.

Assia y vivait encore, dans un pli de lumière, dans un angle de mur, dans le souvenir des phrases pas dites.


– Tu ne me dis plus rien depuis un moment.
– Tout va bien, je t’assure. Ils ont même annoncé les lauréats cette semaine.
– Ce n’est pas faute d’avoir ignoré le sujet pourtant. Faudrait se réapproprier cette foutue grammaire. Tu parlais de lauréates, au moins une ?

Silence.
Grammaire caduque, syntaxe genrée, féminité effacée.

– Globalement trois lauréates. Enfin, si on le prend par le bout grammatical. L’arabe, le tamazight, le français. Dans cet ordre. Trois langues à la queuleuleu.
C’est dire la complexité du labeur.

– Et ?

– Ils ont opté pour le masculin véritable.
Le même que sur les étiquettes.
Véritable café, véritable cuir, véritable crime.


Dans la pièce, une seule fenêtre.


Pas d’ameublement, sinon la lumière qui découpait les jours comme au scalpel.
Assia, faiseuse d’ombres, me tournait le dos.
Sa voix avait gardé ces terminaisons longues, veloutées.
Elle s’ennuyait dans l’au-delà.
Trop peu de récits.
Rien à raconter.


– De quoi parle-t-on en bas ?
– D’histoires locales, de montages inachevés.
De l’éternel il/elle, de propriétés vagues.
On tente de redéfinir les évidences pour mieux creuser le malentendu.
Le temps n’est pas aux poètes, encore moins à l’audace de l’alphabet.

– Mais encore ?

– Ils font dans le parti-pris éditorial.
Faire taire les unes pour amplifier les autres.
Du bavardage vulgaire, bruyant.
Tu es partie trop tôt, Assia.
Toi seule savais remettre en jeu les vies en mousseline.


Sa respiration devenait métrique.
Un tambour dans ma tête.
Je perdais pied.
Les silhouettes devenaient trop grandes, les murs trop serrés.

– C’est l’histoire d’une poussée d’adrénaline à contre-courant.
Une fausse monnaie intellectualiste.
Une juxtaposition de lettres faite pour étouffer la cité.
Les mains des unes se détachent des autres.
L’Occident/Orient décroche le prix de la sinistrose aiguë.
C’est un décrochage organique.
Le plus grand bluff du siècle.
Une architecture du non-commun.
Le récit, c’est ça : effacer l’insignifiant féminin.

Tu m’entends, Assia ?


Pas de réponse.
Juste les mots, qui tombaient,
comme du verre sur le ciment froid.


– Les murs s’épaississent à vue d’œil depuis ton départ.
Les femmes d’Alger n’arrivent même plus à pousser la porte de leur propre appartement.
Le macabre est devenu régulation.
La douleur, un produit brut.
Et la peine au féminin s’étire de Sanaa à Cologne.

– Et Kamel ? Qu’est-ce qu’il dit, Kamel ?

Kamel ne dit plus rien, Assia.
Il ne dira plus rien.


Le souvenir se replie sur lui-même.


La ville, elle, continue de marcher.
Sans rien effacer.
Tout s’inscrit.
Même ce qu’on tente d’oublier.

 
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Publié par le 10 juillet 2025 dans A pile et face

 

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Les mots que l’on ne dit plus.


Elle allumait une à une toutes les lampes du salon.
Pas par oubli. Ni par manie.
Mais comme un rituel pour tenir la nuit à distance.
Brouiller l’obscur, effacer l’informe.
Inscrire une résistance discrète, intime, lumineuse.
L’eclairage était doux, étiré, presque liquide.
Une succession de halos suspendus, comme des bulles de savon figées dans l’air.
Des îlots de clarté pour que le réel ne déborde pas.

Encore enfant, elle ouvrait grand les yeux devant l’étendue bleue.
L’azur lui servait de couverture.
Un plein d’océan dans les pupilles.
Comme une prémonition.

Aujourd’hui, le ciel lui manquait.
Violemment.
Presque douloureusement.
Le peu de poussière-de-soleil que laissaient entrevoir ces journées trop courtes de décembre
la rendait nerveuse.
Irritable.
Presque tremblante.

Faut-il s’en étonner,
quand on est née dans un pays incandescent,
et qu’on a respiré de l’iode par vagues entières ?

Cela faisait vingt ans qu’elle tentait, en vain, de retrouver les odeurs.
L’iode.
Le citron tiède.
Le linge qui sèche au vent.
Le henné, le café, la fleur d’oranger au creux des poignets.
Les souvenirs ne suffisent jamais — ils ne restituent rien du grain.

Le téléphone vibra doucement.
Elle décrocha.

Allô, maman… ça va ?
Tu sais quoi ? J’ai mis ton parfum ce matin.
Je t’ai sentie toute la journée.
C’était drôle. Ça m’a tenue.

Le rire.
Limpide.
Comme une partition de Vivaldi qui dégouline au creux de l’oreille.
Elle ferma les yeux.
Respira lentement.
Comme si la voix pouvait remonter en elle et panser ce qui vacillait.

Elle raccrocha.
Puis resta là, suspendue.
20h14.
Seule au milieu des taches de lumière.

Un monde flottant.
Un entre-deux.

Elle appuya sur la touche radio.
France Inter.

Un morceau s’échappa des haut-parleurs,
un chant venu de là-bas.
Du sud.
De l’en-bas du monde.
Musique « Gnawa », annonça l’animatrice, un peu hésitante.

Elle buta sur le titre.
Articulait mal.
Disait avec peine :
Lawah, lawah…

Le “h” s’effaçait.
Muet comme un regret.
Comme les mots qu’on ne dit plus.
Comme les départs qu’on n’a pas su finir.


Dans cette pièce baignée d’ombres douces et de rémanences chaudes,
la nuit recommençait à ronger les coins.
Mais elle résistait.
Elle inventait des refuges.
Elle créait des houppes de clarté,
des abris de mémoire.

Le présent, comme un théâtre de brume,
se mélangeait au passé,
sans couture apparente.
Tout glissait.
Tout se répondait.

Le parfum de sa mère.
Le chant du sud.
Le bleu de l’enfance.
La lumière tamisée d’un salon devenu vaisseau.

Elle ne disait rien.
Mais tout en elle parlait.


 
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Publié par le 9 juillet 2025 dans A pile et face

 

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« Femmes d’Alger dans leur appartement » d’Assia Djebar.


Inspirée par les tableaux de Delacroix et Picasso, la pièce d’Assia Djebar raconte la vie de femmes à travers des éclats de dialogues, entre parole, vision et écoute.

 » Femme de défis et des premières fois, Assia Djebar, écrivaine algérienne de langue française, s’est d’abord choisi un nom, en alliant Assia, qui signifie celle qui console, et Djebar qui veut dire l’intransigeant. Première femme maghrébine normalienne, autrice traduite dans 23 langues, elle a été élue à l’Académie Française. Après son premier roman, La Soif en 1957, elle publie ensuite, toujours chez Julliard, Les Impatients, Les Enfants du nouveau monde et Les Alouettes naïves. Elle a aussi été cinéaste, allant à la recherche des paroles et des regards des femmes qui avaient été oubliées, écartées de l’histoire. Elle a marqué ceux qui l’ont côtoyée par la force de son engagement. Elle a notamment réalisé La Nouba des femmes du Mont Chenoua primé à Venise.
En 1978, Assia Djebar revient à la littérature qu’elle avait un temps laissée de côté, et publie un recueil de nouvelles Femmes d’Alger dans leur appartement. Elle y installe un espace littéraire singulier, dialogue entre peinture et écriture, en référence aux tableaux éponymes de Delacroix et Picasso, dont elle s’inspire pour dessiner un parcours narratif sensible qui entrelace des conversations fragmentées, des images, des scènes de vie. Dans ces nouvelles, les voix féminines se répondent pour composer une autobiographie collective, une autofiction chorale. Assia Djebar orchestre des éclats de dialogues, des discussions reconstituées ou totalement fictives, et nous fait témoins privilégiés de la rencontre singulière entre une femme qui parle et une autre qui regarde, entre une femme qui écoute et une autre qui raconte, pour enfin faire advenir entre deux rives, entre la France et l’Algérie, un échange nourri de la grande histoire collective qui se tisse au creux du pli de l’intime.

« Je ne vois que dans les bribes de murmures anciens comment chercher à restituer la conversation entre femmes, celle-là même que Delacroix gelait sur le tableau. Je n’espère que dans la porte ouverte en plein soleil, celle que Picasso ensuite a imposée, une libération concrète et quotidienne des femmes.  » C’est avec ces mots qu’elle conclut sa postface au recueil de nouvelles.
Ce sont des bribes de ces conversations que nous allons partager avec vous.  » Sophie-Aude Picon

Adaptation Sophie-Aude Picon d’après la nouvelle publiée aux éditions Albin Michel
Avec Rachida Brakni et Louise Chevillotte
Musique originale et interprétation : Smadj
Réalisation Sophie-Aude Picon
Assistanat à la réalisation : Thomas Ignatiew 
Equipe technique : Pierric Charles, Valentin Azan-Zielinski, Romain Lenoir
Cliquez sur le lien.

https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-fictions-avignon/femmes-d-alger-dans-leur-appartement-d-assia-djebar-7801193

 
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Publié par le 9 juillet 2025 dans Litterrature

 

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CONTRE-CHRONIQUE : L’écrivain, le roi et le miroir brisé

Par un Algérien qui n’oublie pas,

Il est à la mode de jouer au dissident dans les colonnes bien chauffées des hebdomadaires français. C’est devenu une métaphore lucrative : on crache sur sa terre natale pour mériter le brevet de lucidité à Paris. On prétend résister au fanatisme en se mettant au service de l’idéologie coloniale réactivée. Il ne s’agit plus de réflechir, mais de répéter : l’Algérie est maudite, irréconciliable avec la modernité, prisonnière de ses démons.

Kamel Daoud est devenu le griot attitré de cette litanie. Chaque semaine, il livre dans Le Point ce que l’éditeur attend : la preuve par l’écriture que l’Algérie est coupable. Coupable d’exister, d’avoir refusé la normalisation avec Tel-Aviv de Netanyahou, d’avoir décidé de soutenir les Palestiniens non pas contre les Juifs, mais contre un régime d’apartheid militaire. Mais Daoud a fait un choix : il a échangé la complexité contre l’audimat, la langue contre la répétition.

Il ose aujourd’hui se poser en défenseur de Boualem Sansal, emprisonné pour ses liens avec un réseau pro CRIF ayant appelé publiquement à remettre en cause les frontières de l’Algérie. Il évite de rappeler que Sansal était haut fonctionnaire, donc acteur du pouvoir qu’il critique. Il escamote le fait que Sansal a utilisé son statut pour entretenir des liens avec une diplomatie étrangère, dans un pays qui ne s’est pas encore prononcé sur la normalisation avec Israël. Nul n’est au-dessus des lois, combien même écrit-il moyennement.

Et que dire du silence de Daoud sur ses propres affaires ? Trois procès sont en cours pour plagiat. Son roman Goncourt 2024 est totalement inspiré du récit de Saada Arbane, survivante de la décennie noire. Hier, égorgée et laissée pour morte par les terroristes islamistes a l’age de 5 ans, aujourd’hui spoliée sans reconnaissance par le Goncourt and Co . Nulle mention de cela dans les tribunes métropolitaines. La France médiatique pardonne tout à ceux qui parlent mal de leur pays d’origine.

Dans cette guerre des mots, le Maroc joue sa partie : régime en crise, peuple rifain réprimé, journalistes en prison, roi absent et malade, mais Tel-Aviv de Netanyahou en allié fétiche. C’est un modèle que l’on veut vendre : taisez-vous, normalisez, pactisez. Daoud ne critique jamais cela. Parce que ce récit-là n’est pas rentrable.

Nous, lecteurs algériens, refusons d’être les figurants de cette littérature néocoloniale. Nous refusons que l’Algérie soit définie par des chroniqueurs devenus fournisseurs officiels de fantasmes. Nous exigeons le droit à la critique, mais aussi le droit à l’autodéfense intellectuelle.

Parce qu’à force de nous désigner comme les damnés irrécupérables, certains finiront par s’habituer à notre disparition symbolique.

Alors on écrit. Pas pour plaire. Pour résister.

https://www.lepoint.fr/editos-du-point/kamel-daoud-boualem-sansal-coupable-pour-un-voyage-en-israel-en-2012–27-06-2025-2593104_32.php?fbclid=IwY2xjawLYFOxleHRuA2FlbQIxMABicmlkETE4QkI0c1ZJM0FLTms3aUw2AR4R3sCHsOKTePreUwtk2NJ8Yvk5nAWf9dnM8m1os1nWAIHckM-xB_sK0tBerw_aem_w1kaLobQIHzB3q0Ib3aEtQ

 
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Publié par le 6 juillet 2025 dans Litterrature

 

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Série spéciale: Juste pour rire et ventiler vos nuits caniculaires.

Edito fictif.
Episode1.

(Texte retrouvé dans un carnet noir oublié à Sainte-Anne. Rumeurs d’un manuscrit en gestation.)

Lettre ouverte depuis ma cellule narrative

Par Kamel Daoud, ancien prix Goncourt, ministre déchu, chroniqueur évadé

Il paraît que j’ai perdu la raison. Il paraît que j’ai insulté Boualem. Il paraît que j’ai trahi l’Algérie, la France, Jérusalem, le CRIF, Léa Salamé et même le couscous. Il paraît que j’ai tout dit, tout nié, tout signé. Il paraît que je suis fou.

Mais vous savez ce qui est fou ? Ce n’est pas moi. C’est ce théâtre absurde où un écrivain devient ministre, puis pestiféré, puis exilé, puis demi-dieu en chute libre. C’est ce bal des masques entre Paris, Alger et Rabat, où chacun accuse l’autre d’avoir vendu son âme, alors qu’il n’en a plus depuis longtemps.

Je vais donc tout dire, ici, dans le silence moite d’une chambre blanche aux murs capitonnés.

Sansal, Jérusalem et les faux prophètes,

Boualem est parti à Jérusalem. Pas pour prier. Pas pour écouter. Mais pour exister. Il s’est affiché là-bas comme un vieux prophète en fin de tournée, clignant des yeux face aux flashs, appelant à “plus de dialogue”, comme on appelle un taxi qui ne viendra jamais.

Il a pris la pose, il a tendu la main, il a dit “je suis écrivain”. En vérité, il est devenu un kit de survie dans les dîners du CRIF, une fiole de parfum Algérien pour parfumer l’odeur du colonialisme inversé.

Je ne le juge pas. J’observe. Et j’écris. C’est encore ce que je sais faire de moins mal.

Macron, Mohammed VI et l’exil de salon

Quant à moi, j’y ai cru.

Un instant.

À la République, aux promesses, aux prix littéraires comme viatiques diplomatiques. Mais Macron n’est pas Mitterrand. Il distribue les prix comme on jette des miettes à des pigeons à la terrasse du Flore.

Alors oui, j’ai songé au Maroc. À Mohammed VI. À Casablanca comme lieu de rédemption. J’ai même dit, face caméra, que Rabat sentait moins l’hypocrisie que Saint-Germain-des-Prés. J’ai failli acheter un riad. Mais même là, je suis resté étranger.

Les binationaux, l’OAS et l’oubli,

Je suis revenu à Paris. J’ai dit ce que je pensais. Des binationaux qui haïssent leur origine et la réclament dans la même phrase. Des Algériens de France transformés en totems républicains, puis en déchets quand vient le moment de voter. J’ai insulté les fantômes de l’OAS. J’ai insulté l’oubli.

Et Léa ne m’a même pas répondu.

Dernière confession depuis le bord

L’Algérie a gagné la guerre du récit. Elle l’a gagné parce qu’elle a arrêté de parler.

Moi, je parle encore.

Trop, sans doute.

Trop fort.

Trop seul.

Juillet 2026.

NDLR:

Cet edito est fictif.

 
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Publié par le 6 juillet 2025 dans Litterrature

 

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La scène, la cellule et la fable du captif éclairé

Il y a des mots qui ne veulent plus rien dire mais qu’on continue de répéter, comme on fredonne une chanson dans un cimetière. Liberté. Vérité. Témoin. Parole.

Beaucoup ont vu ces images, captées en février dernier mais pensées depuis longtemps. Une mise en scène ? Non. Une mise en cellule. Car le Comité pro-Sansal ne fait pas de littérature : il fabrique de la dramaturgie pénitentiaire. Et ce n’est pas une première. Le 16 décembre 2024, déjà, au Théâtre Libre à Paris – ironie de l’intitulé – on avait eu droit à la première représentation. Hier, c’était la deuxième. Et comme toute mauvaise pièce, elle n’a fait que rejouer la même scène, plus sombre, plus tendancieuse, plus travestie.

D’abord, le décor. Un plateau noir, sans issue. Une scène nue comme une vérité que l’on veut cadenasser. L’univers évoque moins le théâtre que le cachot : Sansal n’y est pas invité, il y est enfermé. Comme si, pour défendre sa liberté d’expression, il fallait l’enfermer dans une cellule imaginaire. Or, on le sait : Sansal passe plus de temps en soins palliatifs qu’en cellule réelle. Mais qu’importe le vrai, pourvu qu’on ait le frisson.

Ensuite, l’image. Le visage de Sansal trône. Lisse. Lustré. Retouché. En lettres capitales, grasses, imposantes comme un marteau sur la tempe. On ne lit pas son nom, on le subit. L’affiche dit : « attention, danger d’État ». Une esthétique de l’alerte, conçue pour hypnotiser. L’homme devient signal. Le romancier, urgence. L’auteur, un otage.

Puis viennent les intervenants. Et là, le casting est une confession. Kamel Daoud, convoqué comme symbole frelaté de « parole libre », tel un totem agité pour masquer l’absence de débat. Florence Aubenas, l’ex-otage d’Irak, recyclée ici pour produire de l’empathie sous vide. Roberto Saviano, qu’on projette en hologramme d’insoumission. La stratégie est claire : confondre les registres, croiser les traumatismes, universaliser le cas Sansal pour mieux exporter l’accusation. Un storytelling pavé d’intentions occidentales.

Sansal devient alors double.
Sansal-Aubenas, le captif éploré d’une tyrannie sans nom.
Sansal-Saviano, l’éveilleur solitaire traqué par l’obscurité algérienne.
Et Daoud ? Il joue Daoud. C’est-à-dire : celui qui désinforme avec art, fabule avec méthode, et torpille l’Algérie avec des références choisies sur mesure. Le VIIIᵉ siècle, par exemple, qu’il aime convoquer pour mieux figer le pays dans un décor d’archéologie politique. Son tic préféré : comparer le régime à un parchemin moisi, comme s’il ne savait plus penser autrement qu’en dialecte dénigrant.

Mais le vrai crime n’est pas dans les mots. Il est dans le silence.
Les applaudissements sont en voix off.
Les commentaires en ligne ? Désactivés.
L’illusion de démocratie s’arrête là où commence la peur du réel.
Le spectateur n’a pas droit à sa propre pensée. Le public est là, mais invisible. Comme dans les vieilles pièces de propagande soviétique.

Et pourtant, on nous parle de liberté.
Mais cette liberté-là est une franchise, un label, une arme douce à destination de ceux qui rêvent encore que le salut viendra de Paris.
La vraie guerre est là : une guerre littéraire, oui, mais géopolitique surtout.
Une guerre où l’Algérie n’est pas accusée, elle est requalifiée : non plus État, mais fiction. Non plus Nation, mais névrose.

Il est temps de le dire :
Quand un écrivain devient un drapeau, il cesse d’être un écrivain.
Quand un débat se joue sans contradicteur, il devient litanie.
Quand la littérature devient une arme pour légitimer les vieilles rancunes coloniales, alors le silence devient un devoir de résistance.


 
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Publié par le 5 juillet 2025 dans Politique et Société

 

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Le festin du ressentiment : quand la littérature devient armée de reconquête


Édito – Le festin du ressentiment : quand la littérature devient armée de reconquête

Le Français est un butin de guerre, disait Kateb. Mais voilà que certains veulent récupérer le butin… avec les excuses en moins et l’arrogance en prime.

Un groupuscule d’écrivains français – plume levée, regard bas – appelle aujourd’hui au boycott de l’Algérie. Oui, ce même pays qui leur sert de matériau littéraire, de punching-ball idéologique, d’alibi politique. Un pays qu’ils aiment surtout pour pouvoir le haïr à haute voix, en rond de salon et à coups de cocktails éditoriaux.

Les voilà, ces nouveaux croisés du verbe, réunis dans des salons dorés aux lustres poussiéreux, signant des tribunes comme on signe des fatwas républicaines. Leur cible ? L’Algérie. Leur motif ? Avoir osé ne pas plaire, ne pas courber l’échine, ne pas s’excuser d’exister. Et surtout : ne pas sanctifier Sansal, leur nouveau martyr d’opérette.

Ils appellent ça la littérature, nous appelons ça le retour du sabre enrobé de soie.

Il faut les lire pour le croire : des écrivains en croisade, des journalistes reconvertis en procureurs, des éditeurs devenus missionnaires. Ils citent la liberté, mais rêvent de censure. Ils brandissent les Lumières, mais ne supportent pas qu’un pays du Sud leur tienne tête. Ils prêchent la tolérance, mais excommunient tout ce qui échappe à leur évangile.

Ce n’est plus une guerre des idées, c’est un lynchage en smoking.

Et dans ce théâtre de l’absurde, Boualem Sansal devient leur sainte relique. Peu importe ce qu’il dit, ce qu’il écrit, ce qu’il répète à longueur de colonnes : tant qu’il cogne sur son pays, il est bon à publier. C’est leur bachagha littéraire. Le parfait indigène autorisé, diplômé en autoflagellation.

Alors non. L’Algérie ne s’agenouillera pas. Elle n’achètera pas leurs livres, elle n’applaudira pas leur spectacle, elle ne jouera pas dans leur mise en scène néocoloniale.

Boycotter, ce n’est pas censurer. C’est refuser d’être le public d’une pièce écrite contre soi. C’est choisir l’absence plutôt que la complicité. C’est dire : « Vous ne parlerez pas en notre nom, et surtout pas contre nous. »

Le 5 juillet, l’Algérie célèbre son indépendance. Que cette date serve aussi à gracier les imposteurs, à clore les procès éternels qu’on nous intente à coups de papier glacé et de micros tendus. À comprendre, une fois pour toutes, que certains n’aiment que les Algériens désarmés – de leur langue, de leur histoire, de leur mémoire.

Le combat continue. Non pas contre la France – mais contre ceux qui, depuis Paris ou ailleurs, rêvent encore de gérer notre présent comme ils ont géré notre passé : à coups de mensonges bien rédigés.


 
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Publié par le 5 juillet 2025 dans Politique et Société

 

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Le Goncourt de la dépossession : ce que l’affaire Saada Arbane dit du mépris français,

 

En 2024, un roman est couronné du plus prestigieux prix littéraire français : le Goncourt. Houris, signé Kamel Daoud, séduit par son « style », son sujet, sa charge tragique. Il raconte l’histoire d’une fillette algérienne, égorgée par des islamistes durant la décennie noire, survivante muette, ressuscitée par les mots.

Une fiction ? Non. Un plagiat ? Plus grave encore : une confiscation.

Car cette histoire, dans ses moindres détails, est celle de Saada Arbane, une femme bien réelle, bien vivante, et bien ignorée. Ce n’est pas une invention littéraire. C’est un récit de chair, de cicatrice, et de mémoire, recyclé sans consentement, déformé sans égard, et monétisé sans éthique.

Une enfant mutilée, devenue femme invisible,

À l’âge de 5 ans, Saada est victime d’une attaque terroriste dans un village d’Algérie. Égorgée, ses cordes vocales sectionnées, elle est laissée pour morte. Elle survit. Elle est recueillie, adoptée par une ministre Algérienne, Madame Zahia Mentouri, qui l’élève avec amour et exigence.

Saada grandit à Oran. Elle apprend à lire, à comprendre le monde. Elle parle — difficilement, par une canule, mais elle parle. Elle écrit. Elle pense. Elle n’a jamais quitté l’Algérie, jamais demandé d’asile en France ou ailleurs en occident, jamais quémandé d’antenne. Et peut-être est-ce précisément pour cela qu’on ne l’entend pas.

Une vie volée, mot pour mot,

Le roman de Kamel Daoud ne s’inspire pas vaguement de ce destin. Il le retranscrit minutieusement : le trauma, le mutisme, le cadre familial, les foulards de luxe, le tatouage, les détails médicaux… jusqu’à sa propre adresse.

L’histoire de Saada, vidée de son nom, devient Houris, un objet littéraire taillé pour les applaudissements des salons parisiens.

Le plus glaçant ? Saada affirme n’avoir jamais été informée. Et elle raconte que sa psychiatre — auprès de qui elle déposait ses souffrances — est l’épouse de l’auteur. Une trahison intime et médicale qui interroge lourdement l’éthique de la démarche.

Accuser la victime, blanchir l’auteur,

Lorsqu’elle découvre le roman, Saada parle. Elle refuse d’être effacée une deuxième fois — après avoir échappé à la mort, elle ne veut pas disparaître dans la fiction d’un autre. Elle dépose plainte. Elle alerte.

Et alors ? Silence.

Pire : la machine médiatique française se retourne contre elle. On murmure qu’elle serait “manipulée par les services Algériens”. Qu’elle “cherche à nuire”. On la psychologise, on la suspecte, on l’invisibilise. Pendant ce temps, Kamel Daoud enchaîne les interviews, les plateaux, les tribunes. Il nie. Il se dit persécuté. Il revêt le costume du “romancier harcelé par l’État Algérien”.

Cette inversion victimaire est d’une violence redoutable : l’agresseur devient martyr, la survivante devient suspecte.

Et personne ne vérifie, insinifiant est le nombre de ceux qui enquêtent. Il suffit de son prestige et de son réseau pour rendre sa version incontestable.

Une Algérienne qui ne rentre pas dans le cadre,

Pourquoi ce mutisme général ? Parce que Saada Arbane ne correspond pas au récit attendu.

Elle ne vit pas en France.

Elle n’est ni voilée, ni “sauvée” par la République.

Elle parle un français parfait.

Elle ne veut pas être une victime spectaculaire.

Et elle ose accuser un écrivain “intouchable”.

Dans les cercles postcoloniaux chics, on écoute les femmes du Sud seulement si elles viennent confirmer les récits convenus : l’exil salvateur, l’émancipation grâce à l’Occident, l’islamisme réduit à un décor. Saada, elle, ne joue pas ce rôle.

Une fiction coloniale sous vernis littéraire,

Ce que révèle cette affaire, ce n’est pas seulement un problème d’éthique individuelle. C’est un malaise structurel dans la façon dont les voix du Sud sont traitées dans la sphère culturelle française.

Kamel Daoud n’a pas “rendu hommage”. Il a parlé à la place. Il n’a pas donné une voix à une oubliée : il l’a dépossédée de la sienne.

Et la France intellectuelle, une fois de plus, a préféré le confort d’un récit bien écrit à la gêne d’une vérité dérangeante.

Ce que nous appelons:

Nous, le comité de soutien a Madame Saada Arbane nous demandons:

Plus d’enquêtes journalistiques indépendantes sur les faits.

Une prise de parole de la part des institutions littéraires françaises.

Un droit de réponse pour Saada Arbane dans les médias qui ont couvert le Goncourt.

Une réflexion de fond sur les mécanismes d’appropriation et d’effacement dans l’industrie littéraire.

Parce que ce silence, ce mépris, cette complicité passive nous concernent toutes et tous.

Parce que ce n’est pas un roman. C’est une mémoire volée. Et il est temps d’y faire face.

 
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Publié par le 5 juillet 2025 dans Litterrature

 

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