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les silences pervers …

04 Nov

« Meursault contre- enquête ».
Roman de Kamel Daoud .

« Meursault contre- enquête »,le livre de Kamel Daoud , »Goncourable » a souhait et de ce fait légitimement critiquable sur les 153 pages que Meursaultconstitue le récit de l’enfant de Mostaghanem , ce roman, cousu de bout en bout avec des mots qui pensent, explique que l’on ne naît pas Arabe mais qu’on le devient,l’absurde aidant.
Contrairement a toute logique marketing, l’auteur nous défie d’entrée en déclinant sa narration comme un fantasme, une construction imaginaire, une couleur qui viendrait en deuxième temps pour dire les choses que l’on a tu, pour combler les vides,un caprice littéraire en somme.
L’auteur nous projette dans un tourbillon temporel où passé et présent sont mis a l’épreuve,un incroyable « labourage » a ciel ouvert.

Mais de quoi s’agit -il au juste?
« Meursault contre- enquête » est un livre sur la colère et écrit avec colère.
Une écriture de mec, a coup-de-point crocheté, descendant balancé. les coups pleuvent désespérément contre le « nous collectif  » dans lequel se débat un homme/enfant livré a lui même dans une ville ,elle même livrée aux Roumis,comprendre les colonisateurs, dans la langue plebienne/daridja Algerienne.
153 pages en mode télescopage entre la vie du frère de l’arabe tué dans le livre de Camus et celle de l’auteur ,l’Algerien /post-indépendance,brimé, au mieux bâillonné quand il n’est pas infantilisé par un pouvoir reposant essentiellement sur la légitimité historique a défaut de cette autre fondamentale, la blasphématoire légitimité législative.
Daoud a tressé a longueur de pages un pont entre la vie de l’auteur-le frère de l’arabe- et la sienne de vie en voguant sur une une identité mentale que l’on transcrit a coup de sang et de douleur sur la peau dans l’Algérie de tous les temps et nous lisons:
« Les soûleries fréquentes de Moussa ces derniers temps ,ce parfum qui flottait dans l’air ,ce sourire fier qu’il avait quand il croisait ses amis ,leurs conciliabules trop sérieux,presque comiques et cette façon qu’avait mon frere de jouer avec son couteau et de me montrer ses tatouages:Echedda fi Allah »(« Dieu est mon soutien »). »Marche ou creve »,sur son epaule droite « Tais toi « avec dessiné sur son avant- bras gauche,un cœur brisé.C’est le seul livre ecrit par Moussa.Plus court qu’un dernier soupir,se résumant a trois phrases sur le plus ancien papier du monde,sa propre peau. « 

meursaul1Non concordance des temps,
Le tête a tête avec Meursault ou « mersoul » voire « rassoul » – prophète- n’est décidément pas de tout repos .Le livre se nourrit d’un immense hors champs religieux conforté par une profusion de prophètes . Nous y croisons le prophète Haroun, Moussa-moise- Caïn et Abel, des clergés délurés et des » Ève » en mini jupe se tenant sur la ligne de démarcation qui séparait l’espace terne des arabes de celui plus flamboyant des colons.
Et c’est justement sur cette ligne infime qui sépare le bien du mal, le convenu de l’imprévue, le désir de la répugnance, la cécité de la lucidité que se tient Haroun,le frère de l’arabe faute de tout comprendre.
“Un jour M’ma a voulu que j’aille a la mosquée du quartier,qui sous l’autorité d’un jeune imam,servait plus ou moins de garderie .C’était l’été .M’ma a du me traîner par les cheveux jusque dans la rue ;le soleil était si dur.J’ai réussi a lui échapper me débattant comme un forcené et je l’ai insulté .Puis j’ai couru tout en tenant la grappe de raisin qu’elle m’avait donnée juste avant pour m’amadouer.Dans ma fuite j’ai trébuché ,je suis tombé,et les grains se sont écrasés dans la poussière,J’en ai pleuré,toutes les larmes de mon corps,et j’ai fini par rejoindre la mosquée penaud .Je ne sais pas ce qui m’a pris mais quand l’imam m’a demandé qu’elle était la cause de mon chagrin ,j’ai accusé un gamin de m’avoir battu. C’était, je crois, mon premier mensonge .Mon expérience a moi du fruit volé au paradis.Car a partir de ce moment la,je devins rusé et fourbe,je me mis a grandir. “

L’expansion des corps,
Le roman se décline en 2 tableaux ou espaces scéniques . la ville,le village et accessoirement la mer pour l’extérieur autrement dit le « subit » .
la maison, le bar constitueront,pour leur part ,les voix off ,les intériorités plutôt exiguës, plutôt anguleuses.
L’ espace/bar mal éclairé,embué et cotonneux servait comme une caisse de résonance a une sagesse populaire dans le sens brute et par tas entier.
c’est décidément du « layadjouz  » –l’interdit- que jaillira la lumière.
“Les bars encore ouverts dans ce pays sont des aquariums où nagent des poissons alourdis raclant les fonds. On vient ici quand on veut échapper à son âge, son dieu ou sa femme, je crois, mais dans le désordre. Bon, je pense que tu connais un peu ce genre d’endroit. Sauf qu’on ferme tous les bars du pays depuis peu et qu’on se retrouve tous comme des rats piégés sautant d’un bateau qui coule à un autre. Et quand on aura atteint le dernier bar, il faudra jouer des coudes, on sera nombreux, vieux. Un vrai Jugement dernier que ce moment. Je t’y invite, c’est pour bientôt. Tu sais comment s’appelle ce bar pour les intimes ? Le Titanic. Mais sur l’enseigne est inscrit le nom d’une montagne : Djebel Zendel. Va savoir.”

Extinction des voix,
Meursault contre-enquête est un portrait cruel d’un héros mort né, un héros malgré lui qui aura vécu le temps de 153 pages sur la solitude culturelle,sociale et particulièrement celle de la parole afin de servir d’alibi a d’autres pages écrites , il y a de cela soixante dix ans .
Le frere de l’arabe a l’ombre fuyante a tout faux et c’est ce qui explique en partie ce repli sur soi, ce harcèlement qu’il s’impose avant tout.
Haroun ,un enfant désarment de sincérité confondra le vivre et la vérité .
Il restera a la traîne pour avoir cru a un triste jeu de balle .
Le frère de l’arabe s’épuisera a tenter de découdre les enjeux et les excès auront raison de son manque de poésie.
L’auteur/prophète se fait piéger au final par les multiples contradictions et aucune stratégie de survie ne tiendra devant les silences pervers  mais  tellement confortables a commencer par celui de sa propre mère.
« Aujourd’hui,M’ma est encore vivante mais a quoi bon !Elle ne dit presque rien .Et moi je parle trop,je crois.C’est le grand defaut des meurtries que personne n’a encore puni,ton écrivain en savait quelque chose… »

Meursault contre-enquête est un regard glacial ,une fixité inquiétante ,un panoramique qui nous raconte, pas de la façon dont nous aimons souvent l’image mais l’incroyable est que ça marche puisqu’il s’agit d’un roman qui fera date dans la littérature Algérienne mais pas que,la preuve.
Biographie de l’auteur:
Kamel DAOUD
Né en 1970 à Mostaganem (300 km à l’ouest d’Alger), Kamel Daoud a suivi des études de lettres françaises après un bac en mathématiques. Il est journaliste au Quotidien d’Oran – troisième quotidien national francophone d’Algérie –, où il a longtemps été rédacteur en chef et où il tient depuis douze ans la chronique quotidienne la plus lue d’Algérie. Ses articles sont régulièrement repris par la presse française (Libération, Le Monde, Courrier international…).
Il vit à Oran.Il est l’auteur de plusieurs récits dont certains ont été réunis dans le recueil Le Minotaure 504 (Sabine Wespieser éditeur, 2011) – initialement paru à Alger sous le titre La Préface du nègre (éditions barzakh, 2008) et distingué par le Prix Mohammed Dib du meilleur recueil de nouvelles en 2008. Traduit en allemand et en italien, salué par la critique française, Le Minotaure 504 figurait sur la sélection finale du prix Wepler et sur celle du Goncourt de la nouvelle 2011.
Meursault, contre-enquête, publié en Algérie par les éditions barzakh et en France par Actes Sud, est le premier roman de Kamel Daoud.
Edition Actes Sud.

 
2 Commentaires

Publié par le 4 novembre 2014 dans Litterrature

 

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2 réponses à “les silences pervers …

  1. Luce Caggini

    15 septembre 2017 at 21:33

    Chère Latifa , Camus en partage !!
    Cordialement .LC

    Où donc est passé le Troisième Homme de Camus ?
    Ecrit par Luce Caggini le 14 novembre 2015. dans Ecrits, La une, Littérature

    Où donc est passé le Troisième Homme de Camus ?
    – Bénédiction d’un ciel amusé de la modernité émise par un au­teur oranais pour montrer un monde réaliste empreint du génie du christianisme en dehors du miroir munificent de la magie méditerranéenne.

    Après Kamel Daoud, il faudra une autre guerre de la parole pour montrer à nouveau comment une même invention peut puiser impérialement immensément dans l’âme humaine un don de transposition imputant un élan de mort intentionnelle ou biaisant un geste de « roumi » prévenant une montée de racisme tout en étant mentalement monumentalement magistralement ingénieuse­ment ingénument pris en flagrant défaut de misère humaine.

    Intentionnellement, c’est en oranaise née en Algérie française ve­nue en métropole pour la première fois à quinze ans, avec étonne­ment et peu de joie, que j’écris cette partition arabe (valable seulement si Kamel Daoud me le permet), prémisse d’une pensée géométriquement opposée redisant avec émotion le passage amoureux du plus bel empoisonnement, dû au soleil, au plus dan­gereux péril, je veux parler de la grisaille parisienne.

    – Mener un marin en ballade sur un radeau ondoyant entre trois réalités mi­teuses réglées par avance, périr dans un accident de voiture me­nant un auteur rigoureusement nu et rasé de près mi­roitant dans les eaux algériennes fut le coup de malentendu le plus rude d’une carrière tondue de près par un Dieu pas très regardant sur le ­cœur d’un homme blessé par le volant d’une Facel Véga.

    Même mort le troisième homme eut l’art de parler sans émettre un son surtout quand l’aumônier eut un geste plein de larmes.

    Dès qu’il disparut, à mon grand étonnement, emportant dans sa soutane les cris de son pardon, je le sentis délivré de son crime.

    Le jeu était en fin de course.
    Petit à petit, à mi-chemin, l’inattendu mit en route un aspect gênant de sa personnalité. Je vis venir vers moi un jeune homme très malheureux qui me demanda si je voulais bien être son double ; à ma grande surprise il ne pouvait m’accompagner jus­qu’à Alger car mon itinéraire lui faisait un peu peur, mais en dehors de cela la route de la gloire le fascinait. Donc nous fîmes une mue dans une entreprise radicalement opposée. Il était mon arabe et je devenais son Meursault immédiat. Kamel Daoud ré­gissait mon étude de Meursault, rusait avec les mots et induisait une connotation politique à un petit jeune de Belcourt qui n’avait pas su donner un nom à mon crime, impuissant que j’étais à voir le monde repentant des années soixante-dix et sui­vantes. L’imitation du roi de Belcourt romancée avec un écri­vain béat devant « la Montagne des lions » revient à un média­teur éminent donnant un titre improbable en nommant étrange­ment un petit gars de faubourg ému par le soleil mais inerte mis en demeure de ne prôner que la vérité, oubliant même d’imaginer sa mort en toute innocence avec naturel sous couvert de pureté, en plein mirage en pleine anémie en pleine inutilité. Meursault im­mortalisait l’essence des misères d’un homme émouvant du fait de son rare oubli de soi.

    – Entrons dans le vif du sujet.

    Meursault est entré dans le livre de Kamel Daoud par la voie d’un moule utilisant les bénéfices de la mue, opposant apparence des faits et faits réalisés en toute injustice. C’était un crieur de misère jeté au propre et au figuré, nu et marginal, somatisé par le prix à payer dans un pays intensément riche, irradié de son amour pour le soleil, menant le romancier Albert Camus avec le parti pris du der­nier pas immortel de son parcours littéraire.

    Artistique, mémoire et usurpation ne font jamais bon ménage mais mérite et répartition de la vision permettent une petite encoche au malaise d’un lecteur pénalisé par son origine oranaise noyé dans les brumes des critiques politiques de son pays moiré des ruines réparties généreusement sur l’Algérie.

    Dans les redites unilatérales organiquement bétonnées par les mé­dias mêlant islam et christianisme, Oran et Alger, exode et pa­trie, ni l’Arabe ni le Pied-noir ne purent jamais dire un mot de leur romancier avec la sincérité de Meursault. Dans les deux cas, deux mondes réalisant leur misère et leur dénuement avant de se tuer mirent leurs morts en terre avec amour de l’Algérie arabe ou pas. Perdant murailles bétail pierrailles avec croix et crois­sant en tenailles du chaud et du froid ni Meursault ni l’Arabe ne surent jamais la fin de leur aventure car ni l’un ni l’autre ne mirent jamais les pieds dans la même immunité d’un pays de règles muselées, de règne mutilé par des milliers de morts, régi en mode moulé sur la pauvreté enfantée par les jeux d’un pouvoir vieux et malade en partie émancipé par le biais des militaires de la Révolution imitant en cela le vieil adage : ris mais ne fais pas rire.

    C’est avec un élan de nausée que Meursault murmura depuis les murs de sa prison : Ah ! Que c’était dur de mettre les mots de la vérité avec les Arabes qui étaient assis en rond en attendant le re­tour de Marie.

    Murs, ordures, éraflures, ardeurs, médiocrités, ondées jouées ou lues ou entendues à coups de paroles ou de révolver ne mettront pas une mégatonne de plus ou de moins à la note finale du monde musulman rythmé par cinq airs de musique orientale.

    – En parallèle avec la rareté unique de l’étrange attitude de mon héros en accord avec sa nouvelle compréhension de la lumière in­térieure d’un homme en recherche de pureté ab­solue, mémoire, muse, Oranie, mausolée, générosité ne purent arriver à montrer à Kamel Daoud que Meursault était immanqua­blement l’Arabe en même temps que le pied-noir du temps de l’Algérie Française.

    Reste encore une immense beauté immaculée : le meilleur est dans le cœur du jeune de Belcourt, un môme entre dix et vingt ans n’aurait jamais connu que la belle matinée d’un jour oranais du haut du Murdjajo. Une autre béatitude a été mise de côté, la beauté des rues de Mondovi où je suis né.

    Lu: 1187
    Tous les articles de: Luce Caggini

    Aimé par 1 personne

     
    • Jasmins de nuit

      16 septembre 2017 at 16:24

      Merci pour ce précieux partage/témoignage sur la beauté des rues de mondovi. Cheers. »,

      J’aime

       

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