Kateb Yacine rend hommage a sa mère: « Kateb Yacine: « Ma mère a été ma première source d’inspiration. »
Il a perdu sa mère. Il l’a annoncé en quelques lignes, sur Twitter, avec la sécheresse d’un constat administratif. Une douleur tue, ou trop vite traversée. Pas un mot pour elle. Mais des mots pour lui, pour le pays, pour le president Algerien, pour l’éternel procès d’intention qu’il aime mener, même dans l’ombre du deuil. L’émotion ? Absente et substituée par une mise en scène.
À croire que la disparition de la mère ne vaut, chez lui, que pour ce qu’elle permet de dire sur lui-même.
À l’opposé, il y a Kateb Yacine. Lui n’a jamais cessé de parler de sa mère. Elle était son socle, son institutrice et sa déchirure.
Kateb n’a pas cité sa maman par convenance, il l’a portée dans chaque vers. Internée, brisée, mais vivante à travers sa voix. Elle fut le canal par lequel il a accédé à la poésie arabe, à la langue interdite, à l’héritage refoulé. Ce lien, ni esthétisé ni glorifié mais bien vécu, hante toute son œuvre.
Nous comprenons pourquoi Kamel Daoud évite ce nom. Kateb est indigeste pour ceux qui veulent faire l’économie du colonialisme. Il est trop direct, trop radical, trop ancré. Il écrit contre l’oubli, contre la compromission. Rien à voir avec le clinquant moral des plateaux français ou la nostalgie d’une Algérie rêvée par ceux qui l’ont quittée.
Daoud ne cite pas Kateb, ni Mammeri, ni Feraoun, ni Assia Djebar. Ni même Djaout ou Boudjedra. Leur présence l’encombre. Trop d’histoire. Trop de chair. Il préfère Camus. Il s’y accroche comme à une bouée littéraire, réclamant une filiation que rien ne justifie : ni le style, ni l’univers, ni la trajectoire. Ce qui les rapproche ? Oran, peut-être. Mais Daoud n’en est pas originaire. Il y écrit comme on occupe un territoire symbolique. Une fiction spatiale pour consolider la fiction coloniale.
Le plus troublant, c’est que cette affiliation forcée plaît. Elle est rassurante. Elle raconte une Algérie digérable, qui peut être lue depuis Paris sans malaise. Une Algérie qui parle le langage des anciens maîtres, qui cite Camus au lieu de citer ses propres morts. Une Algérie neutralisée.
Or, l’autre Algérie existe.
Celle qui lit encore Kateb.
Celle qui se souvient que la mère est un lieu d’apprentissage et de révolte.
Celle qui sait que l’écriture ne consiste pas à chercher l’approbation, mais à nommer ce qui dérange.
La mère est partie. Le silence reste. Et ce qu’on fait de ce silence en dit souvent plus que mille hommages.
Sur la table basse, l’agenda trône, noir, épais, écorné, usé par des mains trop agitées. Il l’ouvre au hasard, laisse les pages parler à sa place. Des villes y sont encerclées, soulignées, parfois griffonnées en majuscules rageuses. Afghanistan. Jérusalem. Moscou. Téhéran. Yémen. Jalal Abad.
Des noms comme des coups de feu, comme des battements d’un cœur qui ne sait plus où se poser.
Elle, penchée par-dessus son épaule, murmure, presque en retenant son souffle :
— C’est un volcan, ton carnet. Un magma politico-militairo-financier. Un inventaire du chaos organisé.
Il referme doucement l’agenda, comme on claque la porte d’un lieu trop chargé. Il ne veut pas en parler. Il ne sait pas dire. Ou plutôt : il ne peut pas.
— Tu as promis de me faire confiance. — Je te fais confiance. Mais je note.
Elle insiste sans hausser le ton. Elle questionne sans violence. Ce soir, elle veut comprendre. Pas seulement l’homme, mais l’ensemble du système qu’il transporte avec lui. Elle sait lire les silences, mais parfois, elle exige les sous-titres.
— Ce « my people » dont tu parles… C’est qui ? Tu les paies comment, tes silences ? Et ce vinyle collector… Tu l’as échangé contre quoi ?
Il la regarde, longtemps, sans ciller. Ses yeux disent « trop », « pas maintenant », « pas ici ».
— Fadela méritait une entrée digne. C’est tout ce que je dirai.
Elle sourit malgré elle.
— Tu m’échappes, tu sais. — J’espère bien.
Pause. Silence.
— Tu as parlé de notre ami ? — Je crains que ce ne soit un incident, comment dire… diplomatique. Inextricable.
Il baisse les yeux. Elle continue :
— Ce sont des allégations. Beaucoup d’allégations. On les a recueillies auprès du chauffeur personnel de son épouse.
Il lève un sourcil.
— Le chauffeur de l’ambassade, tu veux dire. Ce n’est pas rien.
— Non, ce n’est pas rien. Mais c’est peut-être tout. Fréquenter un diplomate français quand on est l’épouse de l’ambassadeur d’Algérie à Washington. Ce n’est pas une erreur. C’est une déclaration de guerre.
Il reste silencieux. Puis, calmement :
— C’est un guet-apens. Préparé dans l’ombre. Il dérangeait trop. Le tout-New York était à ses pieds. Rabat fulminait, tu te souviens ?
Elle hoche la tête. Elle se souvient. Du tumulte feutré des couloirs, des regards qui filent, des articles non publiés.
Et pendant qu’ils parlent de lui, de l’ami tombé, quelque chose les traverse. Une peur ? Une nostalgie ? Un pressentiment ?
Quelque chose d’expressionniste se jouait là, dans cette pièce baignée d’une lumière d’aquarium. Une tentative de surnager la petitesse humaine. Une façon de redonner au chaos une forme, un tempo, une image.
— Cela reste jouable, dit-il. À condition de s’armer. D’une infinie patience.
Elle lui tend sa tasse. Il la remplit. Elle le regarde faire, avec une douceur presque désarmée.
— Ton thé a refroidi, dit-il. Je vais te le réchauffer.
Et sans qu’il le sache, elle pense à sa guerre à elle. Silencieuse. Romantique. Pour ce diplomate à la voix trouble et au passé trop dense.
Elle sait qu’elle est peu de ce monde. Mais elle veut y rester encore un peu.
Une femme se tient devant sa fenêtre. Il y a toujours une vitre dans ces cas-là. Elle appuie le front contre la surface froide, active la touche rewind.
Sur le seuil du monde, les chemises en lin blanc impeccablement repassées, soulignaient avec insistance les peaux étonnamment dorées. Les sourires n’étaient pas forcément sincères, les bouches de toutes ces mondaines, minutieusement tracées au rouge écarlate Dior, se contractaient en « Ohhhh » savamment dosés, divins, suspendus juste au-dessus des plats.
Exquis.
Il faut dire que l’ambassade Britannique sait y faire. Quand sa majesté recevait pour l’iftar, c’était toutes les dunes de l’Arabie qui scintillaient jusqu’à très tard dans la nuit.
Il la regardait, intrigué, beaucoup amusé, infiniment séduit. Leur hôte, un brillant diplomate, les avait placés côte à côte.
Autour de la somptueuse table, s’entrechoquaient des nationalités confondues, plénipotentiaires des sphères d’intérêts encore plus confondantes. Disons-le.
– Madame la conférencière vient de New York, annonça-t-on. Ils avaient même échangé il y a quelques mois sur l’urgence de protéger le temple antique de Baalshamin à Palmyre.
Ne pouvant assister à son exposé, faute de caler la séance entre deux vols, il s’était promis de la revoir. Le plus vite possible.
Au moment de servir le deuxième plat, la voix fluette se détachait des murs et des ombres langoureuses que dessinaient les flammes des bougies, embaumant le bois de santal.
Elle tournoyait au-dessus de leur tête avant de se mêler au tintement des verres en cristal.
Cela faisait de jolis tchin-tchin. Cela donnait des histoires invraisemblables.
– Ma grand-mère avait coutume de donner des soirées légendaires dans sa villa du grand Alger, commença-t-elle.
On disait que la demeure aurait appartenu à Saint-Saëns. On disait aussi que, par une fiévreuse nuit d’août, quelque part sur les rives de la pointe Pescade, un homme de 38 ans, d’une lucidité intacte, ouvrit grand la fenêtre de sa chambre et lâcha sur la ville, par poignées entières, des centaines de partitions musicales.
Elle s’interrompit, le temps de lisser un pli sur la nappe, avec le souci d’accomplir quelque chose d’éminemment important, avant de poursuivre, en baissant la voix d’un cran, sur le ton de la confidence :
– Ma grand-mère, elle, n’avait d’oreille que pour la séraphique Fadela et ses noubas.
– Est-elle toujours à Alger ? – Fadela ? Bien sûr que non. Elle décédera en 70, le jour de ma naissance. Ma grand-mère y a vu un signe et m’a fait jurer de laisser chanter Fadela partout où j’irai.
Bien entendu qu’il pensait à la grand-mère, lui.
Avant le dessert, il tremblait déjà à l’idée de ne pouvoir revoir ce petit bout de femme qui ne faisait pas de grands « Oh » mais qui semblait fragilisée par la perte de Fadela.
– J’aimerais vous revoir dans la maison de votre grand-mère. – Je n’y habite plus.
Suivit un mouvement précipité de toutes les lumières, traversant à l’oblique l’enfilade des vitres donnant sur le jardin de la résidence.
Généralement, la douleur était trop sourde. Ramassée, la boule juste au niveau de l’estomac s’amplifiait en boursouflures qui ralentissaient dangereusement sa respiration.
Le savoir, loin encore, plusieurs fois dans le mois, dans l’année, durant quelques 25 ans, elle ne s’y résignera jamais. Certainement pas durant la nuit.
Le jour, elle fera comme si, peinant à défroisser les chronologies boudeuses.
La perdition, les creux, le vide, les blancs, l’incompréhension, les enfonçures se résorberont, pour un moment, sous la couverture en cuir de chèvre du mémorandum souvent trop chargé.
La modernité entière serait-elle un agenda qui prétend ?
– J’ai menti, ce n’est pas seulement que je voudrais rester à tes côtés, mais je le veux tellement.
C’était sa manière à lui d’annoncer les départs.
On sent ici l’homme pris dans ses contradictions, à la fois ancré dans un monde où tout s’achète et se négocie, et à la fois prisonnier de ses fragilités et de ses désirs.
La ville n’était pas un lieu. C’était une suite de temps superposés. Une pellicule grattée à la lame de rasoir. On y entendait encore les rires d’enfants, les grenades éclatées, les voix radiophoniques étouffées par l’orage. Elle n’avait pas changé, non. Elle s’était juste renfrognée. À force d’avaler les silences.
Assia y vivait encore, dans un pli de lumière, dans un angle de mur, dans le souvenir des phrases pas dites.
– Tu ne me dis plus rien depuis un moment. – Tout va bien, je t’assure. Ils ont même annoncé les lauréats cette semaine. – Ce n’est pas faute d’avoir ignoré le sujet pourtant. Faudrait se réapproprier cette foutue grammaire. Tu parlais de lauréates, au moins une ?
– Globalement trois lauréates. Enfin, si on le prend par le bout grammatical. L’arabe, le tamazight, le français. Dans cet ordre. Trois langues à la queuleuleu. C’est dire la complexité du labeur.
– Et ?
– Ils ont opté pour le masculin véritable. Le même que sur les étiquettes. Véritable café, véritable cuir, véritable crime.
Dans la pièce, une seule fenêtre.
Pas d’ameublement, sinon la lumière qui découpait les jours comme au scalpel. Assia, faiseuse d’ombres, me tournait le dos. Sa voix avait gardé ces terminaisons longues, veloutées. Elle s’ennuyait dans l’au-delà. Trop peu de récits. Rien à raconter.
– De quoi parle-t-on en bas ? – D’histoires locales, de montages inachevés. De l’éternel il/elle, de propriétés vagues. On tente de redéfinir les évidences pour mieux creuser le malentendu. Le temps n’est pas aux poètes, encore moins à l’audace de l’alphabet.
– Mais encore ?
– Ils font dans le parti-pris éditorial. Faire taire les unes pour amplifier les autres. Du bavardage vulgaire, bruyant. Tu es partie trop tôt, Assia. Toi seule savais remettre en jeu les vies en mousseline.
Sa respiration devenait métrique. Un tambour dans ma tête. Je perdais pied. Les silhouettes devenaient trop grandes, les murs trop serrés.
– C’est l’histoire d’une poussée d’adrénaline à contre-courant. Une fausse monnaie intellectualiste. Une juxtaposition de lettres faite pour étouffer la cité. Les mains des unes se détachent des autres. L’Occident/Orient décroche le prix de la sinistrose aiguë. C’est un décrochage organique. Le plus grand bluff du siècle. Une architecture du non-commun. Le récit, c’est ça : effacer l’insignifiant féminin.
Tu m’entends, Assia ?
Pas de réponse. Juste les mots, qui tombaient, comme du verre sur le ciment froid.
– Les murs s’épaississent à vue d’œil depuis ton départ. Les femmes d’Alger n’arrivent même plus à pousser la porte de leur propre appartement. Le macabre est devenu régulation. La douleur, un produit brut. Et la peine au féminin s’étire de Sanaa à Cologne.
– Et Kamel ? Qu’est-ce qu’il dit, Kamel ?
– Kamel ne dit plus rien, Assia. Il ne dira plus rien.
Le souvenir se replie sur lui-même.
La ville, elle, continue de marcher. Sans rien effacer. Tout s’inscrit. Même ce qu’on tente d’oublier.
Elle allumait une à une toutes les lampes du salon. Pas par oubli. Ni par manie. Mais comme un rituel pour tenir la nuit à distance. Brouiller l’obscur, effacer l’informe. Inscrire une résistance discrète, intime, lumineuse. L’eclairage était doux, étiré, presque liquide. Une succession de halos suspendus, comme des bulles de savon figées dans l’air. Des îlots de clarté pour que le réel ne déborde pas.
Encore enfant, elle ouvrait grand les yeux devant l’étendue bleue. L’azur lui servait de couverture. Un plein d’océan dans les pupilles. Comme une prémonition.
Aujourd’hui, le ciel lui manquait. Violemment. Presque douloureusement. Le peu de poussière-de-soleil que laissaient entrevoir ces journées trop courtes de décembre la rendait nerveuse. Irritable. Presque tremblante.
Faut-il s’en étonner, quand on est née dans un pays incandescent, et qu’on a respiré de l’iode par vagues entières ?
Cela faisait vingt ans qu’elle tentait, en vain, de retrouver les odeurs. L’iode. Le citron tiède. Le linge qui sèche au vent. Le henné, le café, la fleur d’oranger au creux des poignets. Les souvenirs ne suffisent jamais — ils ne restituent rien du grain.
Le téléphone vibra doucement. Elle décrocha.
— Allô, maman… ça va ? Tu sais quoi ? J’ai mis ton parfum ce matin. Je t’ai sentie toute la journée. C’était drôle. Ça m’a tenue.
Le rire. Limpide. Comme une partition de Vivaldi qui dégouline au creux de l’oreille. Elle ferma les yeux. Respira lentement. Comme si la voix pouvait remonter en elle et panser ce qui vacillait.
Elle raccrocha. Puis resta là, suspendue. 20h14. Seule au milieu des taches de lumière.
Un monde flottant. Un entre-deux.
Elle appuya sur la touche radio. France Inter.
Un morceau s’échappa des haut-parleurs, un chant venu de là-bas. Du sud. De l’en-bas du monde. Musique « Gnawa », annonça l’animatrice, un peu hésitante.
Elle buta sur le titre. Articulait mal. Disait avec peine : — Lawah, lawah…
Le “h” s’effaçait. Muet comme un regret. Comme les mots qu’on ne dit plus. Comme les départs qu’on n’a pas su finir.
Dans cette pièce baignée d’ombres douces et de rémanences chaudes, la nuit recommençait à ronger les coins. Mais elle résistait. Elle inventait des refuges. Elle créait des houppes de clarté, des abris de mémoire.
Le présent, comme un théâtre de brume, se mélangeait au passé, sans couture apparente. Tout glissait. Tout se répondait.
Le parfum de sa mère. Le chant du sud. Le bleu de l’enfance. La lumière tamisée d’un salon devenu vaisseau.
Inspirée par les tableaux de Delacroix et Picasso, la pièce d’Assia Djebar raconte la vie de femmes à travers des éclats de dialogues, entre parole, vision et écoute.
» Femme de défis et des premières fois, Assia Djebar, écrivaine algérienne de langue française, s’est d’abord choisi un nom, en alliant Assia, qui signifie celle qui console, et Djebar qui veut dire l’intransigeant. Première femme maghrébine normalienne, autrice traduite dans 23 langues, elle a été élue à l’Académie Française. Après son premier roman, La Soif en 1957, elle publie ensuite, toujours chez Julliard, Les Impatients, Les Enfants du nouveau monde et Les Alouettes naïves. Elle a aussi été cinéaste, allant à la recherche des paroles et des regards des femmes qui avaient été oubliées, écartées de l’histoire. Elle a marqué ceux qui l’ont côtoyée par la force de son engagement. Elle a notamment réalisé La Nouba des femmes du Mont Chenoua primé à Venise. En 1978, Assia Djebar revient à la littérature qu’elle avait un temps laissée de côté, et publie un recueil de nouvelles Femmes d’Alger dans leur appartement. Elle y installe un espace littéraire singulier, dialogue entre peinture et écriture, en référence aux tableaux éponymes de Delacroix et Picasso, dont elle s’inspire pour dessiner un parcours narratif sensible qui entrelace des conversations fragmentées, des images, des scènes de vie. Dans ces nouvelles, les voix féminines se répondent pour composer une autobiographie collective, une autofiction chorale. Assia Djebar orchestre des éclats de dialogues, des discussions reconstituées ou totalement fictives, et nous fait témoins privilégiés de la rencontre singulière entre une femme qui parle et une autre qui regarde, entre une femme qui écoute et une autre qui raconte, pour enfin faire advenir entre deux rives, entre la France et l’Algérie, un échange nourri de la grande histoire collective qui se tisse au creux du pli de l’intime.
« Je ne vois que dans les bribes de murmures anciens comment chercher à restituer la conversation entre femmes, celle-là même que Delacroix gelait sur le tableau. Je n’espère que dans la porte ouverte en plein soleil, celle que Picasso ensuite a imposée, une libération concrète et quotidienne des femmes. » C’est avec ces mots qu’elle conclut sa postface au recueil de nouvelles. Ce sont des bribes de ces conversations que nous allons partager avec vous. » Sophie-Aude Picon
Adaptation Sophie-Aude Picon d’après la nouvelle publiée aux éditions Albin Michel Avec Rachida Brakni et Louise Chevillotte Musique originale et interprétation : Smadj Réalisation Sophie-Aude Picon Assistanat à la réalisation : Thomas Ignatiew Equipe technique : Pierric Charles, Valentin Azan-Zielinski, Romain Lenoir Cliquez sur le lien.
Il est des livres qui, par leur silence, font plus de bruit que mille cris. Il est des mots, cousus à la main, qui trahissent des corps bien réels. Et il est des écrivains, enfin, qui se prennent pour Dieu, en croyant pouvoir tout inventer, même la douleur des autres. Kamel Daoud, prix Goncourt 2024, est de ceux-là.
I. Un roman né sous de mauvais astres
Juin 2024. Pendant que les bombes réduisent Gaza en poussière et que le monde, figé, redessine ses lignes de fracture, Houris atterrit chez Gallimard. Un roman « troublé dans un monde trouble », vendra-t-on. Et dans le tumulte, un récit : celui d’une femme égorgée par les islamistes, qui survit et renaît mère.
En guise de préface, une phrase piégée : « Ce livre est susceptible d’enfreindre l’article 46 de l’ordonnance 06-01 de 2006 relative à la réconciliation nationale »(1). Autrement dit : ce livre serait illégal en Algérie. Un avertissement lourd, qui confère à l’auteur une aura de dissidence.
Sauf que cet article de loi n’a jamais été appliqué. Ni à Daoud, ni à d’autres écrivains Algériens. Et surtout, il fut promulgué dans un contexte très précis : le post-terrorisme, la paix fragile, les plaies encore béantes. Gallimard le sait. L’auteur aussi. Alors pourquoi l’imprimer en préface ? Pourquoi dégainer une loi caduque, sinon pour dramatiser, enjoliver, victimiser l’écrivain… tout en effaçant les véritables victimes ?
II. Aube n’est pas un mirage. Elle s’appelle Saâda.
Aube, personnage central de Houris, n’est pas le fruit d’une imagination littéraire. Elle est vivante. Elle a un nom : Saâda Arbane. Oranaise. Égorgée dans son enfance. Vivante malgré tout. Elle parle avec une canule. Elle se reconstruit, sans messianisme. Et surtout, elle n’a jamais donné son accord pour figurer dans un roman.
La confidence a été livrée à sa psychiatre. Cette même psychiatre partage la vie de Kamel Daoud. Le fil est ténu. Mais impossible à rompre. Houris n’est pas une fiction. C’est une effraction.
III. « Ce n’est pas elle, ce sont toutes »
Face aux accusations, Daoud nie. Il généralise, noie le poisson. Il parle d’une soixantaine de femmes. Égorgées. Canulées. Archivées. Il affirme avoir enquêté, en juin 2024, pendant un court séjour en Algérie. Un mois où, comme par magie, les chiffres lui auraient sauté au visage.
Mais sur le terrain, rien ne confirme ses propos. Le docteur Aggoune, spécialiste de la décennie noire, est formel : aucune patiente vivante avec une canule. Aucun recensement. Aucune trace d’une autre Aube. Et surtout, aucun précédent dans la littérature algérienne à ce sujet. Daoud est seul avec ses chiffres. Il les invente peut-être. Ou il les maquille.
IV. L’ombre d’un autre plagiat
Le pillage ne s’arrête pas à la vie de Saâda. Il touche aussi la mémoire collective. Nazim Mekbel, fondateur du site Ajouad Algérie Mémoires, affirme que plusieurs passages de Houris sont repris de son site sans autorisation, sans citation, sans la moindre reconnaissance.
Ironie noire : Ajouad est une initiative des enfants des victimes du terrorisme islamiste. Ces enfants, Daoud les fait parler à sa place. Il les dépossède de leurs récits. Puis les dissout dans sa fiction. Même mécanique, même violence que celle infligée à Saâda.
V. Une fiction en contradiction avec elle-même
Houris joue sur une symbolique forte : celle de la rédemption par la maternité. Aube survit. Elle enfante. L’Algérie renaît. Sauf que dans la réalité, Saâda ne porte pas le voile. Elle est citadine. Moderne. Et sa mère adoptive est une ancienne ministre.
Ce détail bouscule tout. Il inverse les rôles. En Algérie, l’État ne massacrait pas. Il fut lui-même victime. Les islamistes, eux, n’ont pas épargné les gouvernants. Le roman de Daoud brouille ces repères. Il recompose l’histoire selon un prisme flou, émotionnel, instable.
Et ce n’est pas nouveau. Dans son roman ÔPharaon, publié avant Houris, Daoud décrivait la décennie noire à travers une toute autre grille de lecture. Il se montrait plus ambigu, flirtait avec une forme d’empathie pour les islamistes, dénonçant un pouvoir corrompu et assassin. Gallimard n’en dit mot. Mieux : l’éditeur a effacé ce livre de la biographie officielle de l’auteur.
Faut-il comprendre que Daoud change de thèse selon les époques ? Ou selon les publics ? Et Gallimard, pourquoi entériner ce grand écart idéologique sans sourciller ?
VI. Gallimard : l’éthique en solde
Qu’une maison comme Gallimard ose publier Houris avec un tel flou sur ses sources, son éthique et sa logique éditoriale interroge. La préface qui brandit une loi algérienne tombée en désuétude. L’occultation de ÔPharaon. Le silence autour du plagiat. Tout cela compose un tableau inquiétant.
La maison Gallimard agit-elle comme un organe de validation coloniale, où la souffrance des autres devient un argument de vente ? Où l’exotisme remplace la rigueur ? Où le fantasme d’une Algérie islamisée en 2024 est plus vendeur qu’un portrait nuancé, donc moins sensationnel ?
VII. Un poison pour la littérature francophone ?
Le scandale dépasse Daoud. Il menace une génération entière d’écrivains francophones. Car en récompensant un roman bancal, bâti sur des témoignages volés, le Goncourt 2024 envoie un message toxique : ce n’est pas la vérité qui compte, mais l’effet de style.
Ce roman, qui se voulait cri de mémoire, est devenu un leurre. Et l’on pourrait bien s’en souvenir comme du jour où la fiction a trahi l’Histoire, où le roman a trahi le réel, où l’écrivain a trahi les vivants.
Last not least
À qui appartient une histoire ? Et à quel moment devient-elle un vol ?
Et si l’avenir de la littérature francophone se jouait dans cette réponse ?
NDLR: (1) L’article 46 de l’ordonnance n° 06-01 du 27 février 2006 portant mise en œuvre de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale prévoit une peine d’emprisonnement de 3 à 5 ans et une amende à l’encontre de quiconque, par ses déclarations, écrits ou tout autre acte, utilise ou instrumentalise les blessures de la tragédie nationale, pour porter atteinte aux institutions de la République algérienne démocratique et populaire, fragiliser l’État, nuire à l’honorabilité de ses agents qui l’ont dignement servi, ou ternir l’image de l’Algérie sur le plan international.
On dit souvent que les USA foutent le bordel au Moyen-Orient.
Mais la France ? Elle est le cerveau discret de nombreux désastres.
Voici comment Paris a semé le chaos… au nom de la paix.
1. 1979 : la révolution iranienne se prépare à… Paris.
Khomeini est accueilli à Neauphle-le-Château.
Il y planifie la chute du Chah.
Pourquoi la France l’aide ? Parce que le Chah devenait trop souverain, trop nucléaire, trop indépendant.
Résultat : l’Iran devient l’ennemi officiel pour 40 ans.
2. Israël possède la bombe nucléaire… grâce à la France.
Dans les années 1950-60, les ingénieurs français construisent le réacteur de Dimona.
Accords secrets, technologie transférée, aide logistique.
Résultat : déséquilibre régional nucléaire pour l’éternité.
Aujourd’hui, la France appelle à la paix.
Mais en coulisses :
Elle vend des Rafale aux Émirats et au Maroc
Elle entretient des bases militaires aux EAU et en Jordanie
Elle soutient diplomatiquement Israël tout en “reconnaissant” la Palestine
Double discours. Contradiction permanente.
4. Pourquoi ce double jeu ?
Parce que la France vend :
Des armes
Du renseignement
Du soft power
…à TOUS les camps qui lui garantissent l’accès à l’énergie, aux marchés, et au prestige.
Recap:
La France n’est pas une puissance neutre.
Elle fabrique l’instabilité qu’elle prétend réguler.
Elle a semé :
le régime iranien,
la puissance nucléaire israélienne,
et aujourd’hui l’escalade au Liban, en Syrie et dans le sahel
6. La prochaine fois que tu entends “La France appelle à la désescalade”…
Pose-toi la question :
Qui vend les armes ?
Qui normalise les guerres ?
Qui garde les bases ? Photo1: L’Ayatollah Khomeyini entouré de ses fidèles prie dans sa résidence de Neauphle-le-Château le 20 novembre 1978, France. Credit Getty Images Photo2: 21/01/1979-Neauphle le Château, France- De nombreux fidèles entourent l’ayatollah Khomeini après que le chef religieux a appelé tous les Iraniens à reconstruire le pays dans lequel il prévoit de retourner le 26 janvier. Credit Getty Images. Photo3: Emanuel Macron, le president Français . Photo4:Fin septembre 1957, le Commissariat à l’Energie atomique français (CEA), après quatre ans de négociation, avait accepté de fournir à Israël un réacteur à plutonium- la dissuasion nucléaire-. Crédit : archives du ministère de la Défense.
« La mode se démode, le style jamais. » disait la célébrissime Coco Chanel..
Un style c'est donc une respiration , un certain regard, sur la vie .
Un style c'est un savant mélange de pulsions, de poésie et de panache...
Réinventer les lieux et dérouler une sorte de mélodie sans toutefois bouder le fun et oser un chouïa d'excentricité ...