Il l’avait lui-même écrit pourtant , avec une étrange prémonition :
« Je mourrai assassiné comme Lorca, et ils feront croire à une affaire de moeurs. »
Yahia El Ouahrani , poète Algérien d’expression française (1926-1973) né en 1926, à Béni-Saf, près d’Oran, d’une mère célibataire d’origine espagnole.
Les critiques diront que cette naissance bâtarde marquera son œuvre et sa vie.
Il est d’abord instituteur, puis il se rapproche du monde culturel algérien dont il partagera les interrogations et les luttes.
Cet algérien blessé, jeté en pâture aux oubliettes par l’Algérie indépendante n’est autre que le poète Jean Senac.
Sénac n’aura pas profité de la « baraka » de l’Algérie ,le pays qu’il a tant aimé puisqu’il sera assassiné au 2, rue Élisée .
Au sous-sol de son taudis , Sénac gisait, les bras en croix. Le poète ne pouvait plus voir les étoiles : ses yeux s’étaient fermés. Son corps était froid. Il avait cinq entailles à la poitrine.
Il fonde l’Union des écrivains algériens dont il est le secrétaire général ; crée la « Galerie 54 » qui abritera la première exposition de peinture de l’Algérie indépendante, crée egalement la revue « Novembre » , devient membre du comité international pour la reconstruction de la Bibliothèque nationale d’Algérie dévastée par l’OAS.
Une rencontre décisive en 1963 avec Che Guevara et Senac écrira le célèbre vers, souvent critiqué,
« Tu es belle comme un comité de gestion » en souvenir de leur visite commune d’un débit de boissons, proche de sa maison .
Pour les « Fêtes du 1er novembre », il prépare et préface anonymement une exposition autour du noyau des peintres qui sont devenus ses proches et opère un rassemblement plus large de 18 artistes
Le poete bouillonne et anime a la radio algérienne les émissions: Le poète dans la cité (1964-1965) puis Poésie sur tous les fronts(1967-1971) tandis que Gallimard publie Avant-Corps en 1968.
Il fait de nombreuses conférences sur la nouvelle poésie algérienne de langue (« graphie », préfère-t-il dire) française, organise des récitals et publie plusieurs anthologies mais n’en continue pas moins d’accompagner de ses textes les expositions de ses amis peintres, inventant notamment à propos de Benanteur l’expression « Peinture du signe » qui s’imposera pour désigner l’un des courants les plus originaux de la peinture Algerienne contemporaine.
La descente aux enfers:
« Je dis que je suis algérien et ils me rient tous au nez. O dérision ! »
Après le 19 juin 1965, date du coup d’État de Houari Boumedienne, commence la désillusion pour Jean Sénac. Bien sûr, le poète a chanté la Révolution. Il a cru au socialisme à visage humain mais
les émissions poétiques de Sénac sont interdites en janvier 1972.
Le jugeant menacé, certains de ses amis le pressent de quitter Alger.
Ce qui est clair, c’est que non seulement Sénac n’était plus utile au nouveau régime dirigé par Boumediene, mais qu’il était devenu un élément perturbateur et trop ostensiblement critique vis-à-vis des nouvelles orientations prises par le pouvoir en place.
Ce Pied-noir, ce Français non musulman, ostensiblement homosexuel, ne peut continuer a dénoncer, et avec autant de violence, les dérives totalitaires de l’Algérie de l’époque .
Le journal El Moudjahid , l’organe central du pouvoir en place ne signale que par quelques lignes la disparition brutale du « poète qui signait d’un soleil » dans la nuit du 29 au 30 août 1973.
On arrêtera cependant un petit délinquant, qui avouera être l’auteur du crime pour un vol qui aurait mal tourné. Il semble que ce coupable providentiel aurait été discrètement remis en liberté quelques temps plus tard.
Le poème de Senac dira longtemps après la souffrance de cet Algerien écorché vif qui a aimé l’Algerie comme rare l’ont fait les humains.
«Jeunes gens ne demandez pas d’autographe au poète.
Il y a si longtemps que je n’écris plus au stylo mais à la bouche !
Je ne sais plus signer que d’un baiser avide.
Les mots dans mes doigts
Saignent (…)»
Index:
Conformément au testament de Jean Sénac les archives de son œuvre se trouvant à Alger ont été remises à la Bibliothèque nationale d’Alger Une autre partie de ses archives est déposée aux Archives de la Ville de Marseille.
Ouvrages:
1. Le Soleil sous les armes. Éléments d’une poésie de la résistance algérienne, éd. Subervie, Rodez, 1957 .
2. Pour une terre possible, poèmes et autres textes inédits, éd. Marsa, Paris, 1999 .
3. Pour Jean Sénac, ouvrage collectif, éd. Rubicube, Alger, septembre 2004 .