Nous sommes saturés. Pas de nouvelles informations, mais de la présence permanente.
Chaque écran impose son rythme, chaque notification est un tremblement. On ne s’informe plus, on subit. L’attention s’épuise avant même d’avoir trouvé un sens.
Trump a montré la voie : une phrase, un mot, suffisent à créer une tempête. Il ne s’agit pas de gouverner, mais de remplir l’espace. La politique s’est installée dans cette logique, saturer pour occuper, annoncer pour dominer. La réalité devient secondaire.
L’extrême droite dans la lancée prospère sur la haine de l’autre. Cette haine n’est jamais abstraite. Elle a un visage, un accent, une langue, une peau. Et trop souvent, ce visage, c’est le nôtre. La peur de ce que nous désignons comme extérieur finit par nous ronger. Sa méthode repose sur le refus permanent, la dramatisation, le noir complet. Pas de projet, juste de la colère concentrée.
Au milieu, les citoyens épuisés se défendent comme ils peuvent. Chaque information devient une épreuve. Chacun choisit un camp, chacun se protège. Les dirigeants eux-mêmes suivent la cadence des réseaux. Ils ne décident plus, ils réagissent. La vitesse a tué la nuance, l’action s’est perdue dans le flux.
Résultat : un brouillard permanent. Trop de faits, trop d’opinions, trop de bruit. On croit être informé alors que l’on est saturé. La fatigue mentale devient le fond de l’époque. Elle s’installe partout, de Washington à Alger, de Paris à Séoul.
Ce n’est pas un effondrement. C’est une lente érosion de la capacité à penser et à juger. Le remède n’est pas dans la technologie ni dans un discours moral. Il est dans un geste simple et rare, celui de suspendre, regarder, attendre avant de réagir.
Accepter de ne pas tout savoir et de s’en porter mieux.
La démocratie ne manque pas d’informations mais de temps pour respirer.
Ce n’est pas une table de négociation, c’est un champ de ruines. Et pourtant, c’est là, au cœur de ce qui reste de Gaza, que Benjamin Netanyahu et Donald Trump sont en train de redéfinir le Moyen-Orient – non pas en résolvant le conflit Israélo-Palestinien mais en le vidant de son contenu diplomatique, en le transformant en simple condition préalable à une nouvelle alliance régionale.
Le plan Trump pour Gaza, approuvé par le gouvernement Israélien, présenté comme un projet de « paix durable », ressemble moins à un accord qu’à une architecture de reddition : celle du Hamas, évidemment, mais aussi – plus discrètement – celle du multilatéralisme, de l’ONU, du droit international et des voix Arabes « modérées ».
Dans ce scénario, la paix ne se construit pas à deux, elle s’impose unilatéralement par la force et la désignation des partenaires légitimes. La diplomatie, ici, n’est plus une médiation. C’est une proclamation.
Le contournement assumé de la France et de Riyad
La première victime collatérale est la proposition Saoudo-Française, longtemps présentée comme la seule alternative crédible à une guerre sans fin. Conçue comme une relance du processus de paix fondé sur deux États, avec des garanties internationales, elle portait l’empreinte d’une France qui voulait revenir au centre du jeu diplomatique et d’un Riyad soucieux d’éviter une normalisation à genoux.
Mais cette initiative a été écrasée par la mécanique Trump-Netanyahu avant même d’avoir été formellement rejetée.
L’Arabie Saoudite a été dépossédée de son rôle de médiateur, la France reléguée au rang de spectateur agacé.
Pour Emmanuel Macron, c’est un camouflet diplomatique de première ampleur : non seulement Paris est exclu du format de décision, mais il est délibérément ignoré, comme si la vieille Europe n’avait plus aucune pertinence dans un conflit qui la hante depuis cinquante ans.
L’ONU dévitalisée, le droit relégué,
Ce n’est pas un oubli : le plan Trump-Netanyahu ne fait aucune référence sérieuse à l’ONU. Ce silence est intentionnel. Depuis le premier jour de cette nouvelle séquence, les deux hommes ont agi comme si le droit international n’avait plus de valeur contraignante et l’ONU, plus de légitimité opérationnelle.
Ce n’est pas seulement une critique, c’est une stratégie,
Décrédibiliser l’ONU, la Cour internationale de Justice, les résolutions passées – tout cela sert à créer un vide normatif, dans lequel une nouvelle géopolitique peut émerger. Une géopolitique dans laquelle les États-Unis, Israël, et quelques partenaires soigneusement choisis (Émirats, Bahreïn, peut-être bientôt Riyad) décident de qui est « autorisé à exister » sur la carte du Proche-Orient.
Riyad, cible finale.
C’est là que l’opération prend tout son sens. La guerre à Gaza, les frappes en Syrie, les tensions au Liban, même les provocations contre l’Iran : tout cela converge vers un objectif stratégique unique – forcer l’Arabie Saoudite à signer les Accords d’Abraham. Non pas en tant qu’acte de paix, mais comme acte d’alignement total avec un ordre régional dicté depuis Jérusalem et Washington.
Netanyahu veut cette signature non pour la photo, mais pour l’histoire. Elle viendrait entériner la fin de la centralité Palestinienne dans le monde Arabe, achever le processus d’inversion entamé avec les Émirats et Bahreïn et redéfinir le rapport de force entre sunnites et chiites, entre modérés et résistants, entre puissances Occidentales et rivaux Eurasiens.
Moscou et Pékin en observateurs impuissants.
Face à cette recomposition, que reste-t-il à la Chine et à la Russie ? Officiellement, Moscou condamne les frappes Israéliennes et soutient une solution à deux États. Pékin appelle au cessez-le-feu, se pose en médiateur neutre. Mais la réalité est crue : ni la Russie ni la Chine ne sont capables d’influer sur la dynamique en cours. Elles n’ont ni troupes sur le terrain, ni leviers économiques crédibles, ni accès aux centres de décision.
Netanyahu et Trump ont délibérément neutralisé le format multilatéral dans lequel Moscou ou Pékin auraient pu jouer un rôle. L’arène, désormais, se limite à ceux qui parlent à Tel-Aviv et à la Maison-Blanche. Les autres peuvent commenter, ils ne peuvent plus empêcher.
Une victoire à double tranchant.
Ce que Netanyahu obtient aujourd’hui, c’est une forme de suprématie diplomatique sans précédent pour un Premier ministre Israélien. Il dicte le rythme, choisit les partenaires, fixe les termes. Trump, dans son deuxième mandat, agit non pas en modérateur, mais en catalyseur.
Ensemble, ils déplacent la géopolitique hors des institutions, hors du droit, hors de la mémoire.
Mais cette domination a un prix. Gaza est en ruines. Le Liban est au bord de l’explosion. L’Iran n’a pas dit son dernier mot. Et l’opinion publique Arabe, si elle est contenue aujourd’hui, peut devenir la prochaine onde de choc.
Le plan fonctionne, pour l’instant. Mais si la paix ne vient pas, ce n’est pas une victoire. C’est une accalmie avant la prochaine tempête.
Derrière l’éclat des plateaux télé et la gloire littéraire, l’affaire Saada Arbane contre Kamel Daoud révèle un autre visage : celui d’une lutte pour la dignité et la parole. Dans ce podcast, nous revisitons la chronologie de cette affaire, entre confidences familiales et regards de la diaspora algérienne. Avec Assia Mentouri et Sofiane Djebbar, nous interrogeons : comment une histoire intime se transforme-t-elle en affaire publique ? Et que dit-elle de notre rapport au pouvoir, à la culture et au silence imposé ? Septembre 2025. Domino Podcast est animé par: Zoubida Berrahou, Autrice et Professeur des Universités à Mascara- Algerie. Latifa Kharrat, Journaliste basée a Washington DC.
Parlons vrai pour une fois, ce n’est pas juste une histoire de trolls, de fake news ou d’algorithmes. C’est une guerre cognitive. Et dans ce champ de bataille numérique, le Maroc a pris l’ascendant, Israël est l’architecte, l’Algérie est la cible.
Et la France ? Spectatrice complaisante.
Le Maroc, un royaume obsédé par le contrôle du récit,
Depuis 2014, Rabat ne joue plus dans la cour du soft power à l’ancienne.
Il s’agit désormais de modeler les imaginaires, brouiller les récits, saturer l’espace d’une seule version : la sienne.
Délégitimation algorithmique de tout discours alternatif.
Mais ce n’est que la surface. Car l’ennemi principal dans la stratégie Marocaine, c’est l’Algérie.
L’Algérie : cible prioritaire du dispositif Marocain,
La guerre froide entre Rabat et Alger a muté : elle est désormais numérique.
Le Maroc finance discrètement des opposants Algériens exilés. Il leur transmet des informations ciblées pour structurer un récit corrosif contre Alger.
Campagnes de dénigrement contre des figures politiques Algériennes.
Tentatives de sabotage de l’image de l’Algérie à l’international (notamment dans les débats sur le Sahel, la Palestine, ou les hydrocarbures).
Surveillance et harcèlement de la diaspora algérienne en France, a Londres et en Belgique.
Narratif construit : l’Algérie serait instable, autoritaire, dangereuse — et le Maroc, la vitrine moderne et “pro-occidentale” du Maghreb.
Nous sommes en presence d’une guerre asymétrique, externalisée et surtout, invisible pour le grand public.
Pegasus, Team Jorge : la guerre sous-traitée.
– 2021 : Pegasus
Scandale mondial. Espionnage de journalistes, militants, diplomates et meme des presidents d’etats dont le Français Macron.
Cibles algériennes nombreuses, notamment dans les milieux politiques et médiatiques.
Le client ? Le Maroc.
Le fournisseur ? NSO Group, Israël.
-2023 : Team Jorge
Une cellule Israélienne de désinformation à la carte, infiltrée par Forbidden Stories.
Le Maroc figure parmi les clients identifiés.
Et selon les documents, l’Algérie est la cible numéro 1.
Des journalistes français sont espionnés via Pegasus.
Des campagnes de désinformation visent l’UE.
Des ingérences marocaines sont pointées du doigt au Parlement européen.
Pourquoi ce silence ?
Parce que le Maroc est un « allié stable ».
Parce que les intérêts économiques priment.
Parce que le récit anti-Algérien arrange certains cercles Français.
Une démocratie attaquée, en scrollant.
Ce que révèle cette stratégie d’influence :
Un État autoritaire,le Maroc, qui sous-traite sa guerre de l’information.
Une entreprise Israélienne (Team Jorge) qui vend la manipulation à l’international.
Des plateformes américaines (Facebook, X, LinkedIn…) qui hébergent les attaques.
Et des démocraties européennes qui laissent faire, sans contre-feu.
Pourquoi l’Algérie est-elle la cible parfaite ?
Rival historique et concurrent régional du Maroc.
Porteur d’un récit indépendantiste, panafricain.
Présente une image moins « lisse », donc plus facile à diaboliser dans l’opinion occidentale.
Mais pas que, l’Algerie compte une diaspora politisée, que le Maroc cherche à neutraliser ou discréditer.
Ce n’est pas un cas isolé. C’est un modèle.
Ce que fait Rabat, d’autres régimes l’imitent ou l’achètent.
Israël vend son savoir-faire comme un produit d’export.
Et les démocraties ? Elles scrollent. Elles tergiversent. Elles perdent du terrain.
These must d’os.
Il est temps de sortir du déni, ce n’est pas « du lobbying » ni « de la diplomatie numérique ».
C’est une stratégie de sabotage démocratique, menée par des alliés supposés, avec des outils de surveillance et de manipulation massifs.
Tant qu’on laissera des États amis hacker le débat public, nos sociétés resteront vulnérables aux récits préfabriqués, et nos institutions piégées dans l’impuissance.
Le monde n’est qu’ un marché de l’influence dans lequel les régimes achètent des récits, les vérités sont hackées et nos démocraties scrollent. PS:
On a cru, naïvement, que les réseaux sociaux allaient ouvrir les sociétés. Ils ont surtout ouvert un nouveau champ de bataille.
Aujourd’hui, chaque régime — autoritaire, populiste ou démocratique — a compris comment transformer les plateformes en armes de pouvoir. Le citoyen y poste des stories. Le pouvoir, lui, y mène une guerre permanente : narrative, algorithmique, émotionnelle.
Aux États-Unis, l’ère Trump a inauguré une nouvelle forme de gouvernance : l’influence comme mode d’action politique. Twitter, puis Truth Social, sont devenus le centre de gravité du discours public. La logique algorithmique — clash, confusion, captation de l’attention — a pris le pas sur le débat. Le résultat est connu : polarisation extrême, perte de réalité commune, effondrement du contrat démocratique.
En Russie, l’arme est différente, mais le but est le même : désorganiser l’espace mental. Pas besoin de convaincre. Il suffit d’épuiser : bots, désinformation, chaos informationnel. L’influence devient sabotage. À l’intérieur, le contrôle est total. À l’extérieur, le bruit devient stratégie.
En Chine, l’outil est technologique, froid, méthodique. Les réseaux sociaux ne sont ni libres, ni ouverts. Ils sont intégrés à l’architecture du pouvoir : surveillance, censure, formatage idéologique. L’opinion publique y est gérée comme une variable d’ingénierie sociale.
Et les démocraties, dans tout cela ? Elles observent. Elles débattent. Elles légifèrent — lentement. Mais elles n’agissent pas à la hauteur du choc.
Le problème est structurel : les institutions ont été conçues pour un monde de délibération, pas de viralité. Elles avancent à la vitesse du droit, tandis que l’information avance à la vitesse du bug. Les plateformes sont plus puissantes que bien des États. Et les règles du débat public ne leur appartiennent plus.
Pire encore, les démocraties continuent de croire que la politique est affaire d’arguments. Alors que les réseaux imposent une autre grammaire : émotion, indignation, accélération. La peur et la colère y dominent. Et la vérité y meurt.
Ce qui se joue n’est pas une crise passagère. C’est une transformation radicale du pouvoir. Les régimes autoritaires contrôlent les récits. Les populistes les saturent. Et les démocraties les perdent.
La guerre des récits a commencé. Et il est temps, enfin, de la prendre au sérieux.
Elle s’éveilla sans bouger. À peine un souffle, à peine un bruit. Ce n’était ni la lumière ni la voix intérieure qui la tirait du sommeil, mais cette sensation diffuse, instinctive, presque animale : une odeur. Les lieux s’imposent d’abord par le nez. Avant même d’ouvrir les yeux, elle savait où elle était, ou du moins où elle avait été. L’odeur salée d’un balcon tourné vers la Méditerranée, le goût du vent chaud, légèrement iodé, qui colle à la peau et s’incruste dans les cheveux. Cette odeur-là n’a pas besoin de lieu, elle est le lieu. Tout comme l’huile chaude d’une ruelle d’Alger, mêlée au sucre et à la pâte qui frémit dans la friture du matin. On y reconnaît la Casbah avant même d’y mettre les pieds. À des milliers de kilomètres de là, dans la géométrie froide des malls de Dubai, ce sont les notes persistantes de santal et de patchouli qui tissent le décor, la climatisation sèche qui donne au luxe cette allure chirurgicale, distante. Et puis il y a Washington, ses trottoirs lissés, ses arbres parfaitement taillés, et ce parfum de cherry blossom, trop doux, trop propre, presque faux dans sa perfection. C’est toujours l’odeur qui précède le monde.
À ses yeux, l’odeur ne se contentait pas de décrire un lieu, elle en construisait la mémoire. Elle façonnait les émotions, dictait l’humeur des jours. Une journée pouvait être douce ou douloureuse selon ce que l’on respirait au moment de l’ouvrir. Rien n’était plus fiable, plus direct, plus intime. Le cœur était trop symbolique, les souvenirs trop construits, alors qu’un parfum ressuscitait un instant entier sans détour. Une bouffée et tout remontait. Une autre, et tout s’effondrait. Le corps se souvenait avant elle.
Elle se rappelait cette ville perchée sur la Méditerranée, où les soirées n’étaient qu’un prolongement muet de l’après-midi. Le soleil s’était retiré, oui, mais la chaleur demeurait, collée aux murs des maisons en pierre, suspendue aux rideaux que le moindre souffle d’air ne suffisait pas à soulever. Dans ce calme épais, les chiens, épuisés, gardaient les yeux mi-clos, allongés dans les angles d’ombre. Rien ne faisait bruit, sinon le générique diffusé par tous les postes de télévisions du quartier : Le riche et le pauvre, un feuilleton devenu rite nocturne, que chacun suivait sans le dire, en silence, à travers les fenêtres entrouvertes. C’est de cette ambiance suspendue qu’un souvenir précis remontait : une nuit particulière, elle avait suivi son grand frère jusqu’à l’épicerie du coin. Il y avait acheté une bouteille de Hammoud Boualem glacée. Une bouteille en verre sombre, perlée de gouttelettes, qui brillait sous les lampadaires comme une promesse d’ailleurs.
Elle se souvenait de la difficulté à suivre ses pas. Il allait vite, lui. Il voulait rentrer avant la fin du générique, et elle, elle courait à petits pas, s’appliquant à ne pas le perdre, à ne pas rester seule dans cette nuit qui ne lui appartenait pas. Ce n’était pas dans ses habitudes de sortir après le coucher du soleil. La chaleur nocturne, étrange, presque hostile, ajoutait au vertige de cette escapade. Mais ce qu’elle n’a jamais oublié, ce sont les lumières. Suspendues aux fenêtres, sans logique ni symétrie, elles semblaient respirer doucement. Et surtout, il y avait l’odeur du jasmin de nuit. Un parfum dense, presque liquide, qui s’enroulait autour des jambes, remontait jusqu’aux tempes, laissait dans l’air comme une mélodie invisible. Ce n’était ni un détail ni un décor. C’était le centre. L’odeur avait rendu cette nuit inoubliable, alors même qu’elle n’en avait compris ni l’enjeu ni le sens.
Des années plus tard, elle continuait à dénombrer les premières lumières du soir, comme on consulte les signes d’un monde intérieur. Ce geste, devenu réflexe, était une manière de se relier à ce qui avait été. Elle n’aurait su dire si cela relevait d’un besoin, d’une habitude ou d’un attachement plus profond. Regarder les fenêtres qui s’allumaient dans les rues de Soho ou celles, plus rangées, de Georgetown, relevait du même rituel que dans l’enfance. À travers ces halos jaunes ou bleutés, elle ne cherchait pas à deviner les visages ni les histoires, seulement à sentir que la vie continuait, là, quelque part, même si ce n’était plus la sienne. Chaque lumière derrière une vitre, chaque rideau entrouvert, était un battement, un signe discret, un je suis encore là. Il n’y avait rien à expliquer, rien à rationaliser. Elle regardait, elle sentait, et cela suffisait à maintenir le fil.
À tous ces souvenirs d’enfance s’était greffé, ces dernières années, le spectacle familier du métro aérien qui serpentait face à la fenêtre de sa cuisine. De jour comme de nuit, elle observait le va-et-vient régulier des rames, comme on écoute le ressac. Ce n’était pas seulement des wagons qui passaient, mais tout un échantillon de vies humaines, confortablement assises, absorbées, peut-être, par leurs écrans ou leurs pensées. Le soir, les silhouettes se détachaient plus nettement à travers les vitres, dessinant un théâtre d’ombres en mouvement. À la fréquence des trains ou à la densité des voyageurs, elle savait reconnaître l’heure, parfois même le jour de la semaine. Les week-ends, les passages étaient plus espacés, les compartiments plus clairsemés. La nuit, les visages devenaient rares, les trajets silencieux.
Il y avait aussi les voisins, discrets mais constants, qui promenaient leurs chiens à toute heure, foulant le gazon impeccablement tracé. Ils ramassaient méthodiquement les déjections des petites bêtes, comme on efface chaque jour la trace d’un passage. Ce quartier, voilà près de vingt ans qu’elle y avait déposé ses valises. Elle qui avait longtemps vagabondé, de continent en continent, de villes en villes, d’appartements huppes en maison de ville cossue, elle avait fini par pousser la porte en bois de la maison bleue. Elle n’y avait pas cru tout de suite. Il lui avait fallu du temps pour admettre qu’elle avait atterri, enfin. Mais à force de lumières guettées, de parfums familiers, de métros comptés et de chiens connus par cœur, le lieu avait fini par l’absorber doucement, comme une terre reconnaîtrait enfin son exilée.
Quand la politique prend l’odeur de la naphtaline.
Par un monde essoufflé, aux frontières floues et aux tempes blanchies, les rênes du pouvoir glissent inlassablement entre les mains des mêmes vétérans du siècle dernier. Ils tiennent encore bon, les vieux lions de la géopolitique, cramponnés à leurs trônes comme à des cannes en or. Pendant ce temps, sur les estrades parfumées des sommets internationaux, on martèle un autre refrain, à l’usage du Sud : « Faites de la place à vos jeunes. Libérez la démocratie. Démilitarisez. Respirez. »
Or, regardez bien la scène. Non, pas la façade mais le cœur du pouvoir global.
Trump — 79 ans.
Netanyahu — 75.
Poutine — 73.
Xi Jinping — 72.
Erdogan — 71.
Bienvenue dans le conseil d’administration d’un monde en fin de cycle.
Des dirigeants qui ont grandi avec le transistor et gouvernent avec la nostalgie d’un monde bipolaire. Ils pilotent des nations comme on entretient une vieille Buick : lentement, bruyamment, et sans trop écouter le GPS. Ce sont les gardiens d’un ordre mondial en mode veille. Des hommes qui négocient la paix avec la logique d’un jeu d’échecs de guerre froide.
Le pouvoir, chez eux, ne se transmet pas — il se conserve. Sous vide. Il ne s’altère pas — il s’encroûte. On parle d’alternance politique, mais dans les faits, on recycle les mêmes silhouettes dans des costumes différents, comme un vieux numéro de cabaret qu’on ne parvient plus à annuler.
Et quand un jeune parvient à se hisser sur la scène ? Il fait du vieux.
Prenez Emmanuel Macron : un quadra, certes, mais au logiciel antique. À peine entré en scène qu’il rêve déjà de casernes, de tambours et de mobilisation générale. Le voilà qui exhorte les Français à “se préparer à la guerre”, qui relance l’idée du service militaire comme on ressort une vieille affiche de propagande des années 40, tout en vendant des Rafale aux quatre coins du globe. Ironie suprême : le même Macron fustige les “régimes militaires” Africains avec une morgue coloniale à peine déguisée. La démocratie, oui, mais à sens unique. Les armes pour lui, la paix pour les autres. Les généraux à Paris, les poètes à Alger.
La vraie blague ? Elle est là.
L’Occident donne des leçons de jeunesse et de renouvellement, alors que son propre système politique se sclérose à vue d’œil. Les élections deviennent des remakes sans surprise, les débats sentent le renfermé, et les opposants sont plus souvent des hologrammes que des alternatives. Les boomers continuent de conduire l’avion mais les plans de vol sont datés de 1975.
Et quand ça crashe — car ça crashera — on pointera du doigt les jeunes. Leur insouciance. Leur TikTok. Leur supposé désengagement.
Mais la vérité, brutale, c’est que la démocratie occidentale n’est plus un cycle : c’est une boucle algorithmique. On tourne en rond avec les mêmes profils, les mêmes références, les mêmes fausses promesses. Longévité ne veut plus dire sagesse. Juste présence. Ininterrompue. Inaltérée. Irritante.
Et à ceux qui croient encore que la démocratie est le terrain de jeu de la jeunesse : regardez autour de vous. Les fauteuils sont occupés. Les micros sont branchés. Les archives gouvernent le présent.
Parce que la démocratie sans jeunesse, c’est une dictature au ralenti.
Et cela vaut autant à Bamako qu’à Bruxelles.
La seule différence, c’est le vernis et la langue du communiqué.
Inspirée par les tableaux de Delacroix et Picasso, la pièce d’Assia Djebar raconte la vie de femmes à travers des éclats de dialogues, entre parole, vision et écoute.
» Femme de défis et des premières fois, Assia Djebar, écrivaine algérienne de langue française, s’est d’abord choisi un nom, en alliant Assia, qui signifie celle qui console, et Djebar qui veut dire l’intransigeant. Première femme maghrébine normalienne, autrice traduite dans 23 langues, elle a été élue à l’Académie Française. Après son premier roman, La Soif en 1957, elle publie ensuite, toujours chez Julliard, Les Impatients, Les Enfants du nouveau monde et Les Alouettes naïves. Elle a aussi été cinéaste, allant à la recherche des paroles et des regards des femmes qui avaient été oubliées, écartées de l’histoire. Elle a marqué ceux qui l’ont côtoyée par la force de son engagement. Elle a notamment réalisé La Nouba des femmes du Mont Chenoua primé à Venise. En 1978, Assia Djebar revient à la littérature qu’elle avait un temps laissée de côté, et publie un recueil de nouvelles Femmes d’Alger dans leur appartement. Elle y installe un espace littéraire singulier, dialogue entre peinture et écriture, en référence aux tableaux éponymes de Delacroix et Picasso, dont elle s’inspire pour dessiner un parcours narratif sensible qui entrelace des conversations fragmentées, des images, des scènes de vie. Dans ces nouvelles, les voix féminines se répondent pour composer une autobiographie collective, une autofiction chorale. Assia Djebar orchestre des éclats de dialogues, des discussions reconstituées ou totalement fictives, et nous fait témoins privilégiés de la rencontre singulière entre une femme qui parle et une autre qui regarde, entre une femme qui écoute et une autre qui raconte, pour enfin faire advenir entre deux rives, entre la France et l’Algérie, un échange nourri de la grande histoire collective qui se tisse au creux du pli de l’intime.
« Je ne vois que dans les bribes de murmures anciens comment chercher à restituer la conversation entre femmes, celle-là même que Delacroix gelait sur le tableau. Je n’espère que dans la porte ouverte en plein soleil, celle que Picasso ensuite a imposée, une libération concrète et quotidienne des femmes. » C’est avec ces mots qu’elle conclut sa postface au recueil de nouvelles. Ce sont des bribes de ces conversations que nous allons partager avec vous. » Sophie-Aude Picon
Adaptation Sophie-Aude Picon d’après la nouvelle publiée aux éditions Albin Michel Avec Rachida Brakni et Louise Chevillotte Musique originale et interprétation : Smadj Réalisation Sophie-Aude Picon Assistanat à la réalisation : Thomas Ignatiew Equipe technique : Pierric Charles, Valentin Azan-Zielinski, Romain Lenoir Cliquez sur le lien.
« La mode se démode, le style jamais. » disait la célébrissime Coco Chanel..
Un style c'est donc une respiration , un certain regard, sur la vie .
Un style c'est un savant mélange de pulsions, de poésie et de panache...
Réinventer les lieux et dérouler une sorte de mélodie sans toutefois bouder le fun et oser un chouïa d'excentricité ...