Photos de Lydia Chebbine.
U.S.A. 2016.

– A ta place ,je me garderai d’affirmer que c’est le tout noir ou l’absolument blanc. C’est comme qui dirait la méchanceté est la fin de l’émerveillement ou alors la folie est l’aboutissement de l’extrême fragilité . Avoue que c’est totalement extravagant, lunaire, absurde.
– J’ai plutôt faim, moi. Je nous prépare des pâtes, tu en prendras bien un peu?,
– Suppose qu’il n’y ait jamais eu de mots, qu’aurait fait l’homme pour cadrer l’improbable? Tu nous vois inscrits dans l’aérien pour proscrire l’immobilisme?. Tiens, essaye de chanter les gammes du solfège mais a l’envers. Cela donnerait une sorte de « do si la si fa mi dore ». Répète sur le mode aigu, pour voir?. j’aimerai que tu puisses entendre l’infinie justesse du solfège en contre sens.
– De l’huile d’olive ou du beurre pour les pâtes?
– La binarité comme concept ne tient plus la route, c’est moi qui te le dis. L’immensément precis est » l’inter-genre ». Tout se rejoint, s’imbrique, se recompose ext,ext,ext.
– Oui, oui ,je vois c’est comme manger que l’on considère comme un exercice pratiquement androgyne dans le sens ou mâle et femelle peuvent le pratiquer.
– Pourquoi j’ai l’impression que tu te payes ma tete?
– Moi?. Je suis l’innocence incarnée en une affirmation bleu. Ni blanc ni noir mais bleu, fair enough?.
Elle hesita une seconde avant de griffonner en guise de baissée de rideau:
Raconter sa vie c’est surtout s’inventer des points communs.
Washington 2016.
Photos de Lydia Chebbine.

Hein? Comment appelle t-on cette histoire?
Le tout avait commencé avec cette femme qui a l’heure du lever du jour, se mettait a ranger une a une ses idées folles au fond de l’imposante armoire en vieux chêne,dressée au milieu de la pièce..
Veiller a ce que rien ne dépasse, pas même l’esquisse d’un pas de cote, d’une rêverie farfelue. d’une unique note de musique, sans parler du mouvement furtif d‘une mèche que l’on dit folle.
Car au fond que serait la vie sans les lourdes armoires en chêne?
Moi,qui ne se lève jamais avec les premiers fils du jour,
Qui n’a pas d’histoire a raconter,
Qui n’a même pas d’idées fantaisistes ne serait-ce que pour tresser l’ombre meme en pointillée, d’une autre femme.
Celle avec d’interminables mains fines qui joueraient de ses battements de cœur comme on jouerait un prélude d’une histoire courant le long des quais de gare.
Une femme se tient devant sa fenêtre. Il y a toujours une vitre dans ces cas la. Elle appuie le front contre la surface froide en activant la touche rewind.
Au seuil du monde, les chemises en lin blanc impeccablement repassées soulignaient avec une pointe d’insistance les peaux étonnement dorées. Les sourires n’étaient pas forcement sincères et les bouches de toutes ces mondaines,minutieusement tracées au rouge écarlate de Dior, se contractaient en dessinant des « Ohhhh » savamment dosés mais surtout divins que l’on suspendait juste au dessus des plats.
Exquis.
Il faut dire que l’ambassade Britannique sait y faire et quand sa majesté recevait pour le iftar c’est toutes les dunes de l’Arabie qui scintillaient jusqu’à tard, très tard dans la nuit .
Il l’a regardait un peu intrigué, beaucoup amusé, infiniment séduit. Leur hôte, un brillant diplomate, les avait placé côte à côté. Autour de la somptueuse table s’entrechoquaient des nationalités confondues, plénipotentiaires des sphères d’intérêts encore plus confondantes, disons le.
Madame la conférencière nous viendrait de New York . Ils avaient même échangé, il y a de cela quelques mois, sur l’urgence de protéger le temple antique de Baalshamin à Palmyre. Ne pouvant assister a son exposé faute de caler la séance entre deux vols, il s’est promis de la revoir et le plus vite possible .
Au moment de servir le deuxième plat ,la voix fluette se détachait des murs et des ombres langoureuses que dessinaient les flammes des bougies embaumant le bois de santal. Elle tournoyait au dessus de leur tête avant de venir se mêler aux tintement des verres en cristal.
Et cela faisait de jolis tchin,tchin.
Et cela donnait des histoires invraisemblables.
– Ma grand- mère avait coutume de donner des soirées légendaires dans sa villa du grand Alger.
On disait que la demeure aurait appartenu a Saint-Saëns.
On disait aussi que par une fiévreuse nuit du mois d’août quelque part sur les rives de la pointe Pescade, un homme de 38 ans, d’une lucidité intacte ouvrit grand la fenêtre de sa chambre et lâcha sur la ville par poignées entières des centaines de partitions musicales. Elle s’interrompit le temps de lisser un pli sur la nappe avec le souci d’accomplir quelque chose d’éminemment important avant de continuer sur le ton de la confidence en baissant d’un cran sa voix:
-Ma grand mère, elle, n’avait de ouïe que pour la séraphique Fadela et ses noubas.
– Est- elle toujours a Alger?
– Fadela? bien sur que non. Elle décédera en 70, le jour de ma naissance. Ma grand mère y a vu un signe et m’a fait juré de laisser chanter Fadela partout ou j’irai.
Bien entendu qu’il pensait a la grand-mère, lui.
Avant le dessert ,il tremblait déjà a l’idée de ne pouvoir revoir ce petit bout de femme qui ne faisait pas de grands « Oh » mais qui semblait fragilisée par la perte de Fadela.
– J’aimerai vous revoir dans la maison de votre grand mère .
– je n’y habite plus.
Suivra un mouvement précipité de toutes les lumières traversant a l’oblique l’enfilade des vitres donnant sur le jardin de la résidence.
Généralement la douleur était trop sourde. Ramassée, la boule juste au niveau de l’estomac s’amplifiait en boursouflures qui ralentissaient dangereusement sa respiration.
Le savoir loin encore, plusieurs fois dans le mois, dans l’année, durant quelques 25 ans, elle ne s’y résignera jamais et certainement pas durant la nuit.
Le jour,elle fera comme si en peinant a défroisser les chronologies boudeuses .
La perdition, les creux, le vide, les blancs, l’incompréhension, les enfonçures se résorberont, pour un moment, sous la couverture en cuir de chèvre du mémorandum souvent trop chargé .
la modernité entière serait-elle un agenda qui prétend?
-J’ai menti, ce n’est pas seulement que je voudrai rester a tes cotés mais je le veux tellement.
C’était sa manière a lui d’annoncer les départs.
Washington DC.August 28.2015.
To be continued.

« Pourtant c’est mon ami, je savais tout de lui. Je lui disais les vers que je ne voulais pas publier. Il connaissait mon cœur. Il connaissait mon rêve. Lui seul savait l’exacte signification de mes sourires, de la fleur orpheline en haut des barricades, lui seul savait le journal qui n’acceptait pas tous mes papiers. Nous avions fredonné les mêmes chansonnettes; je chantais plus juste que lui, mais lui connaissais mieux les paroles que moi. C’était mon ami, attentif et savant. A quoi bon raconter? L’amitié est un privilège de temps de paix. »
Je t’offrirai une gazelle de Malek Haddad.
East building of the national gallery of art. Washington DC.
Friday,august 2015.
C’est la vie.
C’est une grande ville.
Il y a un homme.
Il y a une femme.
Il y a deux « keyboard »
C’est le soir chez l’un d’eux.
C’est la grande banalité des bavardages d’été.
Une parole lâchée,c’est aussi un sermon
Je ne sais pas ce que c’est qu’écrire mais j’ai appris et ce depuis cinquante ans a parler et dans la foulée avaler plusieurs langues. J’abuse de figures de style, d’ellipses, des nuances et des « re-departs ». J’avoue avoir réussi pas mal de pirouettes,comme ça a l’instinct. J’en fais même un genre .
Un homme ajuste ses lunettes devant son écran d’ordinateur.
Une femme est la, devant, penchée sur son « Aie-phone ».Elle fait genre,tres intéressée par l’échange de voix et ponctue ses phrases par des onomatopées aiguës.
On ne voit que ses cheveux.
– Je t’avais dit que je passerai te prendre.
– j ‘ai une grippe. Je ne contrôle pas mes paupières, beaucoup de mal a les garder ouverts. j’ai reçu ton message en retard.
– Montre moi tes paupières.
-Heu, valaaaaaaa.
-Tu lis quoi en ce moment?
– C’est l’heure du crépuscule,par ici…j’hésite a allumer la lumière,il fait si doux.
– Pas trop le temps pour les pauses lectures .C’est une période assez chargée.je lis beaucoup de trucs copiés par mes étudiants sur internet. Faudrait penser a soulager tes yeux,mets un peu de lumière.
Rire.
– Autrement dit, tu écris un chapitre a la Zola…Du réalisme au réveil,a midi et a l’heure du coucher,en sommes.
– Toi,tu lis quoi?
– Je switch entre Marguerite Duras et un autre écrivain British,Une lecture croisée.
-Et Modiano alors?
– Heu,Modiano? Trop beau,trop précis voire pointilleux. il écrit a la manière d’une broderie ancienne avec un fil très serré, Je ne sais pas si tu vois cela?.
– Tu as donc lu son dernier ouvrage?
– J’y reviens de temps a autre comme on le fait avec un ancien album de photos de famille. Je crois te l’avoir deja dit, je commence par les premiers. J’y vais par ordre chronologique. Envie de le connaitre comme dans la vraie vie,depuis le début.
Et c’est la que l’histoire commence…
